Bolivie : 25 postulats pour comprendre le “Vivre Bien”

Le concept du "Vivre Bien", dans un entretien avec le journal La Razón David Choquehuanca, Ministre des Affaires Étrangères de Bolivie et expert en cosmovision andine, explique les principaux détails de cette approche qui place la vie et la nature comme des axes centraux.

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Le concept du "Vivre Bien", dans un entretien avec le journal La Razón David Choquehuanca, Ministre des Affaires Étrangères de Bolivie et expert en cosmovision andine, explique les principaux détails de cette approche qui place la vie et la nature comme des axes centraux.

Le président Evo Morales pendant son investiture à Tiwanaku le 21 janvier.
Durant la cérémonie il a parlé de l’importance d’appliquer le concept du Vivre Bien en Bolivie.

Le Vivre Bien, le modèle que le gouvernement d’Evo Morales cherche à mettre en application, on peut le résumer comme le fait de vivre en harmonie avec la nature, quelque chose qui reprendrait les principes ancestraux des cultures de la région. Celles-ci considéraient que l’être humain passe au second plan après l’environnement.

David Choquehuanca est l’un des studieux aymaras partisans de ce modèle et un expert en cosmovision andine, il s’est entretenu avec La Razón pendant une heure et demie et a expliqué les détails de ces principes, reconnus par l’article 8 de la Constitution Politique de l’État (CPE).

“Nous voulons recommencer à Vivre Bien, ce qui veut dire que maintenant nous commençons à estimer notre histoire, notre musique, nos vêtements, notre culture, notre langue, nos ressources naturelles, et après les avoir mis en valeur nous avons décidé que nous allons récupérer tout ce qui est nôtre, de recommencer à être ce que nous avons été”.

L’article 8 de la Constitution établit que : “L’État assume et promeut comme étant les principes éthico-moraux de la société plurielle les concepts : ama qhilla, ama llulla, ama suwa (ne sois pas lâche, ne sois pas menteur, ne sois voleur), auxquels s’ajoutent qamaña (vivre bien), ñandereko (une vie harmonieuse), teko kavi (une bonne vie), ivi maraei (une terre sans malheur) et qhapaj ñan (un chemin ou une vie noble).

Le Chancelier a marqué une distance avec le socialisme et encore plus avec le capitalisme. Le premier cherche à satisfaire les nécessités de l’homme et pour le capitalisme le plus important est l’argent et la plus-value.

Selon D. Choquehuanca Vivre Bien est un processus qui a débuté récemment et qui se répandra peu à peu en se densifiant.

“Pour ceux qui appartiennent à la culture de la vie le plus important n’est pas l’argent ni l’or, ni l’homme, parce qu’il vient en dernier. Le plus important ce sont les rivières, l’air, les montagnes, les étoiles, les fourmis, les papillons (...) l’homme vient en dernier lieu, pour nous, le plus important c’est la vie”.

David Choquehuanca, Ministre des Affaires Étrangères et expert en cosmovision andine.

Dans les cultures

Aymara : Anciennement les habitants des communautés aymara en Bolivie aspirait à être qamiris (les personnes qui vivent bien).

Quechuas : De la même manière les personnes de cette culture désiraient être qhapaj (les gens qui vivent bien). Un bien-être qui n’est pas économique.

Guaranis : Le guarani aspire à toujours être une personne qui se déplace en harmonie avec la nature c’est-à-dire qui espère un jour être iyambae.

Le Vivre Bien donne priorité à la nature avant l’humain
Ce sont les caractéristiques qui seront mises en application peu à peu dans le nouvel État Plurinational.

Accorder la priorité à la vie

Vivre Bien c’est chercher l’expérience personnelle en communauté, où tous les membres se préoccupent de tous. Le plus important n’est pas l’humain (comme le pose le socialisme) l’argent (comme le postule le capitalisme), mais la vie. On vise à chercher une vie plus simple. Le chemin de l’harmonie avec la nature et la vie, avec l’objectif de sauver la planète et qui donne priorité à l’humanité tout entière et non à certaines communautés.

Parvenir à des accords en consensus

Vivre Bien c’est chercher le consensus entre tous, bien que les personnes aient des différences, au moment de dialoguer on passe par un point neutre dans lequel toutes ces différences coïncident et il n’y a pas de provocation de conflit. “Nous ne sommes pas contre la démocratie, mais ce que nous ferons c’est l’approfondir, parce qu’en elle existe aussi le mot soumission et soumettre son prochain n’est pas Vivre Bien”, s’est expliqué le chancelier David Choquehuanca.

Respecter les différences

Vivre Bien c’est respecter l’autre, savoir écouter tout ce que dit celui qui désire parler, sans discrimination ou un quelconque type de soumission. La tolérance n’est pas l’axiome mais c’est plutôt le respect qui l’est, puisque chaque culture ou région a une manière différente de penser, pour Vivre Bien et en harmonie il est nécessaire de respecter ces différences. Cette doctrine inclut tous les êtres qui habitent la planète, comme les animaux et les plantes [1].

Vivre en complémentarité

Vivre Bien c’est accorder la priorité à la complémentarité, parce que tous les êtres qui vivent sur la planète se complètent les uns avec les autres. Dans les communautés, l’enfant se complète avec le grand-père, l’homme avec la femme, etc. Un exemple posé par le Chancelier spécifie que l’homme ne doit pas tuer les plantes, parce qu’elles complètent son existence et l’aident dans sa survie.

Équilibre avec la nature

Vivre Bien c’est mener une vie d’équilibre avec tous les êtres au sein d’une communauté. Selon le Chancelier David Choquehuanca la démocratie est considérée comme exclusive tout comme la justice, parce qu’elle ne prend les personnes en considération que par rapport à une communauté et non par rapport à ce qui est plus important : la vie et l’harmonie de l’homme avec la nature. C’est pourquoi Vivre Bien c’est aspirer à avoir une société équitable et sans exclusion.

Défendre l’identité

Vivre Bien c’est évaluer et récupérer l’identité. Dans le nouveau modèle, l’identité des peuples est beaucoup plus importante que la dignité. L’identité implique de profiter pleinement d’une vie basée sur des valeurs qui ont résisté plus de 500 ans (depuis la conquête espagnole) et qui ont été léguées par les familles et les communautés qui ont vécu en harmonie avec la nature et le cosmos.

L’un des principaux objectifs du concept Vivre Bien est de redonner l’unité à tous les peuples
Mr Choquehuanca explique également que savoir manger, boire, danser, communiquer et travailler sont aussi quelques-uns des aspects fondamentaux du concept Vivre Bien.

Accepter les différences

Vivre Bien c’est respecter les ressemblances et les différences entre les êtres qui vivent sur la même planète. Cela va au-delà du concept de la diversité. ”Il n’y a pas d’unité dans la diversité, mais une ressemblance et une différence, parce que quand on parle de diversité on parle seulement des personnes”, dit le Chancelier. Cette approche se traduit dans le fait que les êtres semblables ou différents ne doivent jamais se faire mal.

Accorder la priorité à des droits cosmiques

Vivre Bien c’est donner une priorité aux droits cosmiques plutôt qu’aux Droits de l’Homme. Quand le gouvernement parle de changement climatique, il se réfère aussi aux droits cosmiques, assure le Ministre des Affaires Étrangères. “C’est pourquoi le Président (Evo Morales) dit qu’il va être plus important de parler des Droits de la Terre-Mère que de parler des droits de l’homme”.

Savoir manger

Vivre Bien c’est savoir se nourrir, savoir combiner la nourriture adaptée aux saisons (des aliments selon l’époque de l’année). Mr Choquehuanca, explique que cette consigne doit s’inscrire sur la base de la pratique des ancêtres qui se nourrissaient d’un produit déterminé pendant toute une saison. Il indique également que bien se nourrir garantit la santé.

Savoir boire

Vivre Bien c’est savoir boire de l’alcool avec modération. Dans les communautés indigènes chaque fête a une signification et l’alcool est présent dans la célébration, mais on le consomme sans exagérer ou blesser quelqu’un. “Nous devons savoir boire, dans nos communautés nous avions de vraies fêtes qui étaient relatives aux époques de l’année. Ce n’est pas aller dans un bar, nous empoisonner avec la bière et tuer nos neurones”.

Savoir danser

Vivre Bien c’est savoir danser (danzar), pas simplement savoir danser (bailar) [2]. La danse(danza) est en relation avec d’autres faits concrets comme les semailles ou les récoltes. Les communautés continuent d’honorer la Pachamama par la danse et la musique, principalement durant les périodes agricoles, mais dans les villes les danses originaires sont considérées comme des expressions folkloriques. Dans la nouvelle doctrine la vraie signification du fait de danser sera renouvelée.

Savoir travailler

Vivre Bien c’est considérer le travail comme une fête. “Le travail pour nous c’est le bonheur”, dit le Chancelier David Choquehuanca. Il souligne qu’à la différence du capitalisme où on se fait payer pour travailler, dans le nouveau modèle de l’État Plurinational, on reprend la pensée ancestrale qui considère le travail comme une fête. C’est une forme d’épanouissement, c’est pourquoi dans les cultures indigènes on travaille depuis l’enfance.

Reprendre Abya Yala [3]

Vivre Bien c’est promouvoir le fait que les peuples s’unissent en une grande famille. Pour le Chancelier, cela implique que toutes les régions du pays se reconstituent en ce qui était considéré comme une grande communauté. “Cela doit s’étendre à tous les pays, c’est pourquoi nous voyons comme positifs les signes que donnent les présidents travaillant sur le fait d’unir tous les peuples et de reconstruire l’Abya Yala que nous avons été”.

Réintégrer l’agriculture

Vivre Bien c’est réintégrer l’agriculture pour les communautés. Une partie de la doctrine du nouvel État Plurinational est de récupérer les formes d’expérience en communauté, comme le travail de la terre, en cultivant des produits pour couvrir les besoins essentiels de subsistance. Sur ce point la restitution des terres aux communautés sera faite, de manière à ce que les économies locales soient régénérées.

Savoir communiquer

Vivre Bien c’est savoir communiquer. Dans le nouvel État Plurinational on cherche à reprendre la communication qui existait au sein des communautés ancestrales. Le dialogue est le résultat de cette bonne communication que le Chancelier mentionne : “Nous avons à communiquer comme cela se faisait avant nos parents, ce qui permettait de résoudre les problèmes sans que des conflits ne se présentent, nous ne devons pas perdre cela”.

Vivre Bien ce n’est pas “vivre mieux” comme dans l’idée du capitalisme
Parmi les préceptes qu’établit le nouveau modèle de l’État Plurinational, figurent la régulation sociale, la réciprocité et le respect pour les femmes et pour les personnes âgées.

Régulation sociale

Vivre Bien c’est réaliser un contrôle obligatoire entre les habitants d’une communauté. “Ce contrôle est différent de la proposition pour la Participation Populaire [4], qui a été rejetée (par quelques communautés) parce qu’elle réduit la véritable participation des personnes”, dit le Chancelier Choquehuanca. Dans les temps ancestraux, “tous se chargeaient de contrôler les fonctions que prenaient les principales autorités”.

Travailler en réciprocité

Vivre Bien c’est reprendre la réciprocité du travail dans les communautés. Chez les peuples indigènes cette pratique s’appelle ayni, qui n’est pas plus que rendre en travail l’aide prêtée par une famille dans une activité agricole, comme les semailles ou la récolte. “C’est l’un des principes ou codes qui nous garantiront l’équilibre face aux grandes sécheresses”, explique le Ministre des Affaires Étrangères.

Ne pas voler et ne pas mentir

Vivre Bien c’est se baser sur l’ama sua et l’ama qhilla (ne pas voler et ne pas mentir, en quechua). C’est l’un des préceptes inclus dans la nouvelle Constitution Politique de l’État et que le Président a promis respecter. De la même manière, pour le Chancelier c’est fondamental qu’au sein des communautés on respecte ces principes pour obtenir le bien-être et la confiance des habitants. “Tous sont des codes qui doivent être suivis pour que nous réussissions à bien vivre dans le futur”.

Protéger les semences

Vivre Bien c’est protéger et garder les semences pour que dans le futur l’usage de produits transgéniques soit évité. Le livre “Vivre Bien, comme réponse à la crise globale”, de la Chancellerie de Bolivie, spécifie que l’une des caractéristiques de ce nouveau modèle est de préserver la richesse agricole ancestrale avec la création de banques de semences qui évitent l’utilisation de transgéniques pour augmenter la productivité, parce que ce mélange avec les produits chimiques abîme et détruit les semences millénaires.

Respecter la femme

Vivre Bien c’est respecter la femme, parce qu’elle représente la Pachamama, qui est la Terre-Mère qui donne la vie et prend soin de tous ses fruits. Pour ces raisons, dans les communautés, la femme est estimée et elle est présente dans toutes les activités orientées vers la vie, l’allaitement, l’éducation et la revitalisation de la culture. Les habitants des communautés indigènes estiment la femme comme base de l’organisation sociale, parce qu’elles transmettent à leurs enfants les connaissances de leur culture.

Vivre Bien et pas mieux

Vivre Bien c’est différent du vivre mieux qui lui est lié au capitalisme. Pour la nouvelle doctrine de l’État Plurinational, vivre mieux se traduit par de l’égoïsme, du désintéressement pour les autres, de l’individualisme et la fait de penser seulement au gain. On considère que la doctrine capitaliste pousse à l’exploitation des personnes pour le captage des richesses par un petit nombre, tandis que Vivre Bien demande une vie simple qui maintient une production équilibrée.

Récupérer des ressources

Vivre Bien c’est récupérer la richesse naturelle du pays et permettre que tous bénéficient de celle-ci d’une manière équilibrée et équitable. La finalité de la doctrine du Vivre Bien est aussi celle de nationaliser et de récupérer les entreprises stratégiques du pays dans le cadre de l’équilibre et de la cohabitation entre l’homme et la nature, en opposition avec une exploitation irraisonnée des ressources naturelles. “Avant tout il faut que prime la nature”, ajoute le Chancelier.

Exercer la souveraineté

Vivre Bien c’est construire, depuis les communautés, l’exercice de la souveraineté dans le pays. Cela signifie, selon le livre “Vivre Bien, comme réponse à la crise globale” que l’on passera à une souveraineté au moyen du consensus commun qui définit et construit l’unité et la responsabilité en faveur du bien commun, sans qu’il ne manque personne. Dans ce cadre les communautés et les nations se reconstruiront pour édifier une société souveraine qui sera administrée en harmonie avec l’individu, la nature et le cosmos.

Profiter de l’eau

Vivre Bien c’est distribuer rationnellement l’eau et d’en profiter d’une manière correcte. Le Ministre des Affaires Étrangères indique que l’eau est le lait des êtres qui habitent la planète. “Nous avons beaucoup de choses, des ressources naturelles, de l’eau. Et par exemple la France n’a pas la quantité d’eau et la quantité de terre qui existe dans notre pays, mais nous voyons qu’il n’y a là-bas aucun Mouvement Sans Terre [5], ainsi nous devons estimer ce que nous avons et le préserver le plus possible, ça c’est Vivre Bien”.

Écouter les plus vieux

Vivre Bien c’est lire les rides des grands-parents pour pouvoir reprendre le chemin. Le Chancelier souligne que l’une des sources principales d’apprentissage dans les communautés sont les personnes âgées, elles conservent les histoires et les coutumes qui se perdaient avec le temps. “Nos grands-parents sont des bibliothèques mobiles, nous devons toujours apprendre d’eux”, mentionne-t-il. Par conséquent dans les communautés indigènes du pays, les personnes âgées sont consultées et respectées.

Source : La Razón "25 postulados para entender el “Vivir Bien”"
Traduction : Primitivi


[1NDT : Elle n’est pas centrée sur l’humain mais bien sur la planète dans son ensemble

[2Ici l’auteur de l’article met en opposition deux manières de dire danser en espagnol : danzar et bailar, où danzar intègre une idée de cérémonie/célébration/symbolique qui n’est pas inclus dans le verbe bailar.

[3Abya Yala est le nom choisi en 1992 par les nations indigènes d’Amérique pour désigner l’Amérique au lieu de le nommer d’après Amerigo Vespucci. Voir sur wikipédia

[5MST : le mouvement des travailleurs ruraux sans terre, mouvement politico-social brésilien qui cherche à obtenir la réforme agraire. Le Ministre signifie ainsi que l’Amérique Latine dans son ensemble est encore aux mains des latifundistes, lire "Les veines ouvertes de l’Amérique Latine" d’E. Galeano pour mieux comprendre.

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