Lors de la clôture de la Conférence des Peuples du Monde sur le Changement climatique à Cochabamba, Democracy Now a fait une interview du président Evo Morales. Amy Goodman a parlé avec Morales de la décision d’États-Unis de couper l’aide climatique à la Bolivie, du trafic de stupéfiants, du dixième anniversaire de la Guerre de l’Eau de Cochabamba, de la protestation au gisement d’argent San Cristobal, et de la contradiction entre la promotion du milieu environnemental et les industries d’exploration et d’extraction des ressources en gaz, pétrole et minerais.
Jeudi 29 avril, les organisateurs du sommet des peuples ont publié un Accord des Peuples basé sur les réunions des groupes de travail. Les principales propositions comprennent l’établissement d’un tribunal international pour poursuivre les pollueurs, l’approbation d’une Déclaration Universelle des Droits de la Terre-Mère, la protection des migrants climatiques et la pleine reconnaissance de la Déclaration les Droits des Peuples Indigènes de l’ONU.
(TRANSCRIPTION TRADUITE MAIS NON ÉDITÉE)
Amy Goodman : Nous émettons depuis Olivia dans la localité de Tiquipaya, dans les environs de Cochabamba. Jeudi, le Sommet des Peuples du Monde sur le Changement climatique et les Droits de la Terre-Mère s’est clos sur une grande manifestation dans le Stade Félix Capriles de Cochabamba en présence du président de la Bolivie Evo Morales et du président du Venezuela Hugo Chávez.
Pendant les trois derniers jours du sommet, connu simplement comme “Le Sommet,” dix-sept groupes de travail se sont réunis pour discuter de différents sujets relatifs au climat, de la dette climatique aux dangers de la commercialisation des crédits carbone. Hier soir, les organisateurs du sommet ont publié un Accord des Peuples basé sur les réunions des groupes de travail.
Les principales propositions comprennent l’établissement d’un tribunal international pour poursuivre les pollueurs, l’approbation d’une Déclaration Universelle des Droits de la Terre-Mère, la protection des migrants climatiques et la pleine reconnaissance de la Déclaration des Droits des Peuples Indigènes de l’ONU. Le sommet des peuples a aussi condamné le programme de reboisement connu sous le nom de REDD, Réduction des Émissions de la Déforestation et de la Dégradation.
Dans la manifestation de jeudi le président bolivien, Evo Morales, a appelé les dirigeants du monde à adopter les propositions du sommet des peuples.
Quelques heures avant la manifestation, des partisans de Morales ont rempli les rues de la ville. Morales est le premier président indigène bolivien, et une grande partie de son appui provient de la population indigène majoritaire en Bolivie.
Les signes de la vibrante culture indigène bolivienne étaient bien visibles dans le stade et aux alentours. De nombreuses femmes indigènes portaient des chapeaux de feutre et des polleras. Le son des flûtes de pan et du charango pouvait être entendu dans tout le stade tandis que de divers groupes musicaux étaient présents sur l’aire de jeu. Des femmes et des enfants vendaient des pâtés en croûte et des jus frais.
Dans la manifestation, le président vénézuélien Hugo Chávez a fait remarqué que “le capitalisme pourrait mener à la destruction de la planète. Pour ceux qui croient que c’est une exagération, il faut rappeler que la planète a vécu des millions d’années sans l’espèce humaine.”
Amy Goodman : Tandis que se finit le Sommet des Peuples sur le Changement climatique et les Droits de la Terre-Mère, nous nous sommes réunis avec le président de la Bolivie Evo Morales. Après les débats sur le climat ratés à Copenhague, en décembre dernier, Morales avait lancé un appel pour organiser le sommet des peuples pour donner aux pauvres et au peuple du Sud du Globe l’occasion de formuler des stratégies sur la lutte contre le changement climatique. Le président Morales reste avec nous durant une heure. Nous sommes ici à l’Université de la Valle – Uni de la Valle, comme on l’appelle ici – à Tiquipaya.
Bienvenu à Democracy Now !, président Morales !
Président Evo Morales : Merci beaucoup
Amy Goodman : Vous avez participé avec nous plusieurs fois à Democracy Now ! à New York. C’est un honneur être ici dans votre pays, en Bolivie.
Président Evo Morales : Encore merci beaucoup de m’inviter à parler comme nous l’avons toujours fait.
Amy Goodman : Eh bien, parlons au lendemain de la clôture de la Conférence des Peuples du Monde, le lendemain du Jour de la Terre. Est-ce que vous pensez avoir réussi ?
Président Evo Morales : Eh bien, d’abord... je suis surpris par la participation de tous. Cela n’était pas dans nos prévisions, tant de gens : plus de 30 000 participants à 16 ou 17 ? tables de travail et une déclaration tellement sage pour la vie et pour la nature. La participation d’hommes de science et de gens très responsables venus de différents secteurs et régions du monde. Il y a deux choses particulièrement importantes. À Copenhague on voulait approuver un document qui abîme la Terre-Mère. On ne débattaient seulement que sur les effets de la crise climatique, pas sur les causes. Et les peuples ont débattu des causes, qui sont le capitalisme – on pourra parler plus en détail du rapport –, les transgéniques qui font mal à la Terre-Mère et à la vie humaine.
Et en plus de cela, je salue le fait qu’il y ait un grand intérêt à entamer un dialogue avec les Nations Unies, de manière à ce que les conclusions des peuples du monde soient écoutées et respectées, pas seulement par les peuples qui ont participé mais qu’elles soient écoutées et respectées par l’humanité dans son ensemble habitant la planète Terre.
Amy Goodman : Les propositions qui sont issues de cette conférence, de ce sommet, pouvez-vous les mentionner et les expliquer, en commençant par le Tribunal de Justice Climatique ?
Président Evo Morales : Par exemple les pays développés devraient respecter l’accord de Kyoto et cela signifie appliquer la réduction de 50% des gaz à effet de serre et que l’augmentation de la température globale doit être stabilisée à un degré centigrade. Créer un tribunal climatique de justice siégeant à Cochabamba et je dit merci aux mouvements sociaux qui ont approuvé cette proposition et le fait que le siège soit en Bolivie.
Qu’est-ce qui a été débattu ? : Le référendum mondial sur la crise climatique, que les ressources économiques qui sont utilisées pour la défense et la guerre le soient pour la vie et la nature. Selon nos informations les pays développés dépensent 1,7 milliard de dollars pour la défense et la sécurité internationale (les interventions militaires)... Imaginez, un milliard sept cents millions de dollars pour sauvegarder la vie et la nature ce serait si important. C’est le droit de la Terre-Mère, le droit à la régénération de sa biocapacité. C’est très important.
Je peux te dire : Je connais le sujet et je l’ai vécu dans ma famille, dans ma communauté, dans mon ayllu. Cette année nous semons à cet endroit, l’année suivante aussi, ensuite il faut l’abandonner pour 5,6,7 ou 8 ans, et dans 6, 7 ou 8 ans il sera régénéré. Le terrain a besoin de plus ou moins ce temps. Le temps passe, nous le laissons et nous y revenons. Et ainsi, si nous faisons tourner les cultures, il n’y a pas d’impact nuisible pour l’environnement. Ce sont des petites choses, mais elles deviennent de grandes choses au niveau international en terme d’environnement global.
En Bolivie après cet événement, nous allons commencer à reboiser. Et le plan que nous voulons développer ici en Bolivie a été approuvé l’an dernier pour le premier anniversaire du jour de la Terre-Mère. Et avant c’était le Jour de la Terre-Mère, c’était nationale, maintenant c’est le Jour International de la Terre. Un an après cela, c’est-à-dire maintenant, nous allons commencer à planter. Et à la deuxième année, l’an prochain donc, nous aurons planté dix millions de plantes : Qu’est-ce cela signifie ? Que les boliviennes et boliviens, qu’ils soient enfant ou personne âgée vont planter une plante ou un arbre. Nous sommes dix millions et il y aura dix millions de plants, sans aucun apport international simplement l’effort et l’apport des boliviens pour arriver à reboiser notre pays.
Amy Goodman : Pouvez-bous expliquer ce qui c’est passé avec les glaciers ici en Bolivie ?
Président Evo Morales : A Chacaltaia, près de la ville de La Paz, enfant on entendait en permanence que les gens allaient pratiquer le ski. Et maintenant que je suis le président et que je vis à La Paz on ne skie plus là-bas. C’est comme un paysage lunaire et il n’y a pas de neige. Par là il y a Chorolque, dans le département de Potosí et les mineurs disent qu’avant le Chorolque était habillé d’un poncho blanc. Ils me disent que dans 50 ans il n’y aura plus de neige sur l’Illimani, la grande montagne qui domine le paysage de La Paz. Selon les experts cela à à voir avec problèmes d’eau, bien sûr. Et ce n’est pas seulement un énorme souci pour les paysans indigènes qui aiment la Terre-Mère et qui la soignent, mais pour toute la population dans son ensemble.
Amy Goodman : Président Morales : qui pourrait être poursuivi devant un tribunal de la justice climatique ?
Président Evo Morales : D’abord, les pays développés qui ne respectent pas le Protocole de Kyoto C’est l’accord de base, le Protocole de Kyoto. Les pays développés devraient mettre en application ses mesures d’une manière responsable. Nous commencerions avec les pays qui ne l’ont pas ratifiés, qui n’ont pas signé le Protocole de Kyoto, comme le gouvernement des États-Unis. Et pour cela il y a la Cour internationale de justice, de façon à que la nouvelle organisation qui naît du sommet puisse poursuivre tout d’abord les pays qui n’ont pas ratifié le Protocole de Kyoto, et en second ceux qui l’ont ratifié mais qui ne l’appliquent pas.
Amy Goodman : Nous parlons au président Evo Morales, au président de la Bolivie. Hier, durant la manifestation du Jour de la Terre, le ministre des Affaires étrangères de l’Équateur a dit que des États-Unis ont réduit leur aide à l’Équateur de 2,5 millions de dollars parce qu’il n’a pas signé l’Accord de Copenhague. Il a dit qu’il donnerait deux millions et demi de dollars aux États-Unis s’ils signent le Protocole de Kyoto. En Bolivie des États-Unis ont réduit leur aide de 2,5 ou 3 millions de dollars parce que la Bolivie n’a pas signé l’Accord de Copenhague. Pouvez-vous expliquer ce qui s’est passé ?
Président Evo Morales : Ici il y a un sabotage et un chantage permanent de la part du gouvernement des États-Unis. Je ne peux pas croire qu’un président noir soit si vindicatif contre un président indien. Parce que nos grands-parents et nos populations, noires et indigènes, ont été exclues, ignorées, humiliées. Obama vient de cette expérience, de cette souffrance. Moi également. Et le discriminé discrimine l’autre discriminé. L’oppressé oppresse l’autre oppressé.
On nous faisait chanter conjointement, mais c’est un chantage passé, maintenant il nous fait un chantage de 2 ou 3 millions de dollars. Avec fierté et humilité je pense qu’aujourd’hui nous sommes mieux sans les États-Unis. Et nous sommes mieux économiquement, dans les politiques macroéconomiques, sans le Fonds Monétaire International.
Amy Goodman : A quoi devaient servir les 3 millions de dollars, avant la réduction de l’apport ?
Président Evo Morales : A des projets sociaux bien sûr,autour de l’environnement. Mais ce sont seulement trois millions. Dans la lutte contre le narcotrafic ils ont la responsabilité de faire un investissement ce n’est pas une coopération, c’est leur devoir. Malgré cela, ils se sont retirés et nous devons faire face à la lutte contre le narcotrafic avec seulement des miettes pour faire comme si. Et comme ça par exemple, j’ai l’information qu’ils devaient investir dans le Compte du Millénaire comme 600 millions de dollars et ils ont tout arrêté. Nous avons résolu cela avec d’autres pays. Nous parlons d’un grand investissement. Nous n’allons pas réclamer, non nous n’allons pas réclamer, nous avons notre dignité. Mais ce qu’ils font c’est comme se venger, ce qu’ils font c’est effrayer et c’est pourquoi j’ai des doute, je suis comme celui qui a été soumis, ainsi que sa famille, maintenant étant président je peut discriminer un autre mouvement qui a discriminé.
Amy Goodman : Voyez-vous un changement entre le président Bush et le président Obama ?
Président Evo Morales : Si quelque chose a changé c’est seulement la couleur du président.
Amy Goodman : Président Morales, vous avez fréquemment parlé de la différence entre coca et cocaïne. Vous dites que la coca n’est pas la cocaïne. Pour un public américain, c’est difficile de comprendre ça. Expliquez-nous s’il vous plaît.
Président Evo Morales : Bon... La cocaïne est comme le cheveu blanc du traducteur et la feuille de coca est verte comme les feuilles de cette plante. La feuille de coca dans son état naturel est un aliment, c’est une médecine. Elle s’utilise beaucoup dans les rituels, comme vous avez pu le voir dans les cérémonies de la Conférence Mondiale pour les Droits de la Terre-Mère. Par conséquent, pour transformer la coca en cocaïne, on utilise beaucoup de produits chimiques, et c’est un mélange d’acide sulfurique et d’autres corps chimiques qui la transforment en drogue. Mais nous n’avons pas la culture de la cocaïne, de la feuille de coca oui, mais pas de la drogue. Je regrette beaucoup que le Département d’État des États-Unis nous accuse du fait que les consommateurs de feuilles de coca sont narco-dépendants. C’est une absurdité. C’est totalement faux. Et que nous les producteurs de feuilles de coca sommes des narcotrafiquants et que la coca c’est la cocaïne, c’est complètement mensonger. Par conséquent nous sommes engagés dans une bataille permanente pour continuer d’informer tout le monde à ce sujet. Mais les gens comme vous, par exemple, savent déjà que la coca ça n’est pas la même chose que la cocaïne [1].
Mais, en plus de cela... quand l’étain bolivien était à son apogée et servait l’industrie nord-américaine, les États-Unis promouvaient les cultures de coca pour que les mineurs, les ouvriers, en consommant des feuilles de coca [2], puissent extraire l’étain pour l’envoyer aux États-Unis. Et ils donnaient des décorations aux meilleurs producteurs de coca. Il existe des documents sur tout cela.
Je suis convaincu de que la cocaïne, le trafic de stupéfiants, est une invention des États-Unis. Sous cette invention, ils ont créé cette guerre contre le trafic de stupéfiants et le capitalisme vit des guerres, le capitalisme a besoin des guerres pour vendre son armement [3]. Alors ce n’est pas un problème isolé, le problème des drogues : c’est un problème qui a à voir avec les intérêts du capitalisme, et sous le prétexte de la lutte contre le narcotrafic, ils installent des bases militaires [4]. C’est le contrôle politique, la domination, la soumission. C’est le nouveau colonialisme.
Amy Goodman : Président Morales, permettez-moi cependant de vous demandez. Je parlais, non pas avec vos adversaires, mais avec vos partisans, qui s’inquiètent qu’il y a un problème croissant de narcotrafic. Je me demande si vous pensez qu’il en est ainsi, vous plus que personne, comprenez qu’une quelconque chose de ce type pourrait provoquer une intervention massive. Par conséquent : qu’est-ce que vous ferez à ce propos ?
Président Evo Morales : C’est un problème. Nous le reconnaissons. Je ne sais pas s’il est croissant, mais oui ... les cartels de la drogue et de la cocaïne sont si puissants et l’État Plurinational (de la Bolivie) ne dispose pas des outils et de la technologie pour lutter efficacement contre les cartels de la drogue. C’est une faiblesse de notre part. Et le plus important c’est le mouvement paysan a volontairement réduit les cultures de la coca. Avant c’était une éradication forcée qui violait des droits de l’homme. Le problème c’est que nous ne sommes pas équipés de radars, de satellites et le narcotrafiquant n’est pas celui qui foule la coca. Il habite dans le monde entier et son argent est dans les banques. Nous devons en finir avec le secret bancaire : pourquoi pas ? Imaginez que sans ça il n’y a pas d’apports à un effort réel et effectif contre le trafic de stupéfiants.
Amy Goodman : Y a-t-il un rôle que les États-Unis peuvent jouer dans le combat contre le trafic de stupéfiants dans ce pays que vous considéreriez constructif ?
Président Evo Morales : Nous avons uniquement besoin d’équipement, de technologie
Amy Goodman : Nous parlons au président de la Bolivie Evo Morales, qui était cocalero [5], chef du syndicat des cocaleros. Maintenant, je veux revenir dix ans en arrière. Je veux revenir à la Guerre de l’Eau, grâce à laquelle vous avez réellement augmenté votre popularité et vous êtes finalement arrivés à la présidence. Ici même par cette fenêtre de l’Université de la Valle, nous pouvons voir la montagne Tunari. C’était le nom utilisé par cette compagnie mystérieuse, les Eaux du Tunari, qui était en réalité la compagnie nord-américaine Bechtel, arrivée pour privatiser la fourniture en eau. Vous vous êtes joint aux agriculteurs, aux travailleurs industriels dirigés par Oscar Olivera, et vous avez dirigé un mouvement de masses contre la privatisation qui a expulsé Bechtel. Parlez-nous de cette période.
Président Evo Morales : Je suis né à Oruro, Orénoque, dans un autre département de l’Altiplano, et après avoir fait mon service militaire obligatoire en 1978, je suis allé en 1979 avec mon père au Chapare, dans la région du Chapare, qui est un département de Cochabamba. Et en 79, 80, on était de passage par ici, j’ai vu le Tunari toujours enneigé. La majeure partie de l’année il y avait de la neige. Maintenant, quand la neige tombe elle tient une demie journée maximum. Je l’ai vu.
Eh bien, en marge de ce sujet, les premiers compagnons qui se sont levés contre le creusement des puits l’ont fait près d’ici au lieu dit Vinto, Vinto Chico. Je rappelle parfaitement que les communautés avaient été mobilisées pour bloquer les routes. Et ils m’ont dit : Evo, qu’est-ce que tu penses des contacts avec la presse ? Amenez la presse. Le gouvernement va nous faire mal avec la privatisation de l’eau. Et j’avais quelques amis dans la presse. Et nous les avons amené à Vinto, nous avons discuté avec eux et ils l’ont dénoncé. Je suis resté très impressionné par la situation. Je parle des années 90. J’ai beaucoup appris.
Après vient ce contrat avec les Eaux du Tunari. Pour les gens de la ville, les tarifs de l’eau allaient augmenter de 300, 400, jusqu’à 700 pour cent. Cela a provoqué la réaction de la population. Et la privatisation des versants, de l’irrigation, pour les gens qui mettaient en place l’irrigation, pour le mouvement paysan, tout cela a été un problème. Et Fernández, Oscar Olivera, nous les avons convoqué pour nous réunir et pour débattre. Omar Fernández, qui faisait parti des constructeurs des irrigations. Et Oscar Olivera du secteur ouvrier.
Et ce qui m’a le plus fait réagir ça a été au Parlement – entre 1999 et 2000 j’étais parlementaire – ils m’ont dit au Parlement qu’il fallait approuver un crédit, je crois qu’il était de 50 millions de dollars de la CAF (la Corporation Andine de Promotion) pour le donner à ceux de Tunari. Moi, pour le moins, ma manière de penser, s’il y a une entreprise qui s’adjuge ou qui privatise, l’eau ou toute ressource naturelle, elle a à investir de l’argent. Pourquoi l’État allait-t-il à prêter de l’argent pour l’entreprise des Eaux du Tunari ? Tu comprends ? Dans le monde indigène et paysan, dans le monde des pauvres, l’entrepreneur c’est celui qui a beaucoup d’argent. Les transnationales sont multimillionnaires. Et là une transnationale, les Eaux du Tunari, s’adjuge la privatisation de l’eau et l’État, le Parlement, voulaient approuver une loi pour obtenir un crédit pour les Eaux du Tunari. Quelle type de privatisation est-ce donc ? Maintenant je peux en parler avec plus de raison, avec beaucoup de connaissance, à propos de ces transnationales.
C’est ce sujet qui a attiré mon attention. Ici il n’y a pas d’investissement des entreprise. Après nous avons été informé qui étaient les associés de la multinationale Tunari : un homme politique comme Médina Dorienne et d’autres politiques. Et se sont groupés pour créer une grande entreprise. Mais il n’y avait pas d’argent, et par conséquent ils supposaient que le gouvernement bolivien allait leur prêter l’argent. Cela et beaucoup d’autres choses nous ont unis, au mouvement paysan, aux irrigateurs et aux gens de la ville. Je dirais que le secteur d’Oscar Olivera a un peu participé à cette lutte. Ceux qui se sont vraiment battu se sont les irrigateurs, les paysans et les cocaleros. Nous nous sommes unis dans la lutte. Nous n’avions pas de problème d’eau au Chapare. Chapare, et la Lune ? Trop d’eau. Le sujet est qu’ils étaient sur une politique de privatisation. Là nous avons de l’eau potable et elle est aux mains d’un syndicat. Nous avons dit : “Cette politique va arriver ici tôt ou tard. Avant qu’elle n’arrive au Chapare c’est mieux que nous allions combattre à Cochabamba.”
Quand un jour je me suis senti comme battu ici dans les mobilisations, à ce moment, près de mille compagnons ont décidé de sortir participer à une marche et ils ont dit : “nous allons à la marche !” Nous sortons et déjà la police commence à nous gazer et la presse dit : “Ils ont gazé les cocaleros qui luttent pour l’eau”. Oh ... et la population se lève et un état de siège a été instauré. C’était le dernier état de siège et nous l’avons battons. Depuis cette fois ils n’y a plus d’état de siège.
Amy Goodman : Alors : comment vous sentez-vous – à partir de cette victoire – d’avoir expulsé Bechtel du pays ? D’avoir été un manifestant qui lançait des pierres, et de devenir président de son pays, représentant la police et les militaires à qui vous vous opposiez alors.
Président Evo Morales : Eh bien, maintenant que je suis président on continue à sortir les entreprises. Avant en tant que dirigeant d’un mouvement social, maintenant en tant que Président. Depuis que je suis président on a sorti les Eaux d’Illimani de La Paz. On est entrain de soritr la Transredes, le groupe pétrolier. Cela ne change pas. Ce sont des politiques définies par les mouvements sociaux, et nous les continuerons.
Mais oui... je veux que cela se sache : Jamais plus d’entreprises propriétaires de nos ressources naturelles. Oui, nous avons besoin d’associés. Par exemple les différents accords que nous avons passé avec plusieurs entreprises. L’entreprise investit, mais sous contrôle, et le propriétaire c’est l’État Plurinational de la Bolivie. Nous sommes les propriétaires de 60% des actions et eux ? Ils investissent 40%. La récupération de leur investissement est garanti légalement et constitutionnellement mais le droit des usagers est également garanti.
Amy Goodman : Vous parlez de l’industrie et du rôle des corporations. Je voudrais considérer comment vous faites face aux droits indigènes, les droits environnementaux, et les conciliations avec les corporations. Allons à San Cristobal, la mine, les protestations de la semaine dernière. S’il vous plaît dites-nous ce qui se passe là-bas. Les mineurs ont fermé la zone. Ils demandent que Sumitomo, la compagnie japonaise, leur paie des réparations, et qu’elle arrête de contaminer l’eau. Je crois qu’elle utilise 6.000 litres d’eau par seconde. Que fait le gouvernement ? Que faites vous, président Morales ?
Président Evo Morales : Tout d’abord, c’est une concession légale, garantie et légalement blindée par le gouvernement précédent. C’est l’héritage des gouvernements néolibéraux. Mais aussi les communautés de la zone doivent savoir que l’entreprise a convenu avec elles. Ils ont créé une fondation pour donner de l’argent aux membres des communautés et d’expérience ce genre d’accord, de chantage ou de prébende ne sont pas la solution. Ils ne sont pas éternels. Et les coupables ce sont les dirigeants de ces communautés qui ont accepté, ils se sont mis d’accord avec l’entreprise. Mais il y a également une composante politique. Quand la droite a perdu aux élections municipales, le jour suivant avec les conflits salariaux ont commencé. Si nous voulons résoudre l’affaire San Cristobal il faut changer la loi. Le code de l’industrie minière. Et sûrement faire une profonde révision du contrat de la concession. Mais hier ou avant-hier le conflit s’est terminé. Ils l’ont levé les barrages et on a discuté vraiment. Mais parfois ce type de conflits sont utilisés politiquement à un niveau local.
Amy Goodman : Le Département d’État (US) a émis un avertissement que les gens ne devaient pas voyager dans cette zone.
Président Evo Morales : Non... Il se trompe... On entend toujours ce genre de campagne de la part du Département d’État des États-Unis. Un petit tronçon de la route est bloqué. Mais je le répète, il a été débloqué il y a deux jours. Et après on m’a informé que plusieurs touristes avaient été bloqués, mais les communautés, d’une manière responsable ont fait passer les touristes. Imaginez-vous, cette manière qu’a le Département d’État des États-Unis de sataniser. Et nous nous disons de manière humaine : les compagnons ont un droit. Bien que ce soit politisé.
Bien qu’ils ne se rendent pas compte que les responsables de ces accords ont non seulement été les gouvernements précédents mais également leurs dirigeants, leurs ex-dirigeants communs. Il y avait un double accord, les entreprises avec l’État et les entreprises avec les dirigeants du mouvement paysan de la région. Je sais ça parce que j’étais là-bas et j’ai discuté avec les compagnons. S’ils ont fait une fondation, je ne sais pas combien de millions de dollars par an ils investissent. Cela ne veut pas dire réduire des responsabilités, bien sûr. C’est notre responsabilité de chercher des solutions. Et je disais il y a un moment qu’il y a des contrats bien blindés, nous sommes responsables de ces contrats, mais maintenant : Comment les changer ?
Amy Goodman : Passons au sujet principal. L’économie bolivienne est basée à 20 ou 30%, sur les industries extractives comme l’argent, le zinc. On commence maintenant à réellement extraire du lithium. La Bolivie a les principales réserves au monde de lithium, une source alternative incroyable d’énergie pour les batteries, pour les voitures électriques. Comment conciliez-vous les industries extractives avec l’environnement, la Pachamama le mot indigène pour la Terre-Mère, et avec les droits indigènes ?
Président Evo Morales : Là nous avons besoin d’études poussées. Si nous voulons défendre la Terre-Mère et les Droits de la Terre-Mère, tout projet d’industrialisation de ressources naturelles doit respecter la régénération de sa biocapacité. Avec plusieurs minerais, par exemple, avec des minerais non renouvelables, ce sera difficile. Maintenant, le débat interne c’est que faire, parce qu’avant, la Bolivie vivait de l’étain comme État colonial. Maintenant nous vivons du gaz et du pétrole. Nos ressources économiques viennent fondamentalement du gaz et du pétrole et en second lieu de l’industrie minière. Dans quelle mesure l’industrialisation de ces ressources peut-elle permettre le respect de la Terre-Mère ?
À partir de la conférence (le Sommet de Cochabamba), nous devons tous changer. Mais quand on nous dit que le lithium serait une énergie alternative, je demande : comment traiter la saumure ? Et : sur quelle période cela peut-il se régénérer ? Certains me disent 50 ou 100 ans. Je serais heureux si c’était 50 ans parce que nous avons environ 10 000 Kms carrés de salar. C’est immense. De la manière dont nous avançons. Mais si c’est régénéré, nous serions satisfaits, d’avoir une solution de remplacement pour ces énergies qui font tant de mal à la Terre-Mère.
Amy Goodman : Ce sont les thèmes qui ont été traités par la table 18, le groupe qui n’a pas été inclus au sommet, mais même quelqu’un sur la scène de la cérémonie d’ouverture, Faith Gemmill du nord de l’Alaska, a dit qu’il fallait : “Maintenir le charbon sous terre, maintenir le pétrole sous terre.” Qu’est-ce vous répondez à cela, à l’arrêt des extractions ?
Président Evo Morales : Voulez-vous que je dise la vérité sur la table 18 ? C’est l’affaire des ONG et des fondations. Les frères indigènes, ceux qui jamais, on eux pour la première fois une table indigène à la 17. Comme il s’agit de justifier des investissements des ONG, les "ONGistes" ont établi la table 18 pour justifier ces investissements.
Maintenant, le débat interne. Ces fondations, ONG, ont dit : “Amazoníe sans pétrole”. Alors qu’est-ce qu’ils me disent que je vais couvrir les puits de pétrole, les puits de gaz. La Bolivie... de quoi va-elle vivre ? Soyons réalistes. Mais comme ces fondations et ONG justifient avec cette classe, en utilisant quelques frères indigènes. Je n’accuse pas les frères indigènes. Ils utilisent les dirigeants pour justifier leurs bons salaires, leur expérience. J’ai écouté hier, dans la nuit, jusqu’à deux heures du matin avec La Vía Campesina. Vous connaissez La Vía Campesina. Je suis fondateur. Et les uns disent, me disent qu’ils ne construisent pas de routes, les autres me disent : “Tu ne réprimes pas”.
Avant-hier, quand il était ici derrière, à Colomi, j’ai annoncé que nous allions construire une route double voie d’Oruro à Colomi. Ce projet est le plus applaudi par les compagnons de base, les gens qui ont besoin d’avoir un accès. Si nous regardons dans ce coin, tout près, dans El Alto, chaque jour ont me demande un petit barrage d’eau. Alors, les ONG et quelques dirigeants disent : "Non", quand ils n’interprètent pas les nécessités de leurs bases. C’est vrai. Et c’est pourquoi, hier soir c’était comme une confrontation avec La Vía Campesina.
Amy Goodman : il nous reste seulement trente secondes. Votre espoir pour ce sommet ?
Président Evo Morales : Je voulais vous expliquer ... – je n’aime pas sentir qu’il n’y a pas de liberté d’expression dans l’expression de leur préoccupation. Mais je veux qu’ils sachent que c’est vrai. Et qu’hier soir avec La Vía Campesina, nous avons eu une confrontation. Ils sont restés muets à propos des barrages, à propos des routes. Maintenant je suis l’ennemi des thermo-électriques, par exemple, mais pas des hydroélectriques. Regardez ... si non ...
Amy Goodman : Cinq secondes.
Président Evo Morales : Bon... alors, merci beaucoup.
Amy Goodman : Merci beaucoup à vous. Nous parlions au président de la Bolivie Evo Morales. Et cela finit notre semaine exclusive ici à Cochabamba, Bolivie, au Sommet des Peuples.
Source : Democracy Now§ via Rebelion "Estamos mejor sin EEUU y sin el FMI"
Traduction : Primitivi
[1] Étant donné la culture de la consommation de la feuille de coca dans les Andes, qui est à la foi un élément symbolique et sacré fort et un élément quotidien de la pharmacopée locale (voir note suivante).
[2] Dans les Andes la feuilles de coca a toujours été utilisée pour pouvoir tenir en accomplissant des tâches dures, accentuées par le manque d’oxygène, le tout dans un milieu plutôt aride et avec peu de nourriture disponible. La coca est parfaite dans ce rôle, ses propriétés vasodilatatrices et excitantes qui permettent à la fois d’augmenter l’apport d’oxygène et de réduire les sensations de fatigue, de soif et de faim.
[3] Et accessoirement on peut aussi considérer que le narcotrafic est lié aux réseaux de vente d’armes, bien pratique pour vendre de l’armement discrètement et/ou avoir accès à un flux alternatif d’argent.
[4] Dans l’année 2009 les États-Unis ont signé un accord avec le président colombien Uribe pour l’établissement de 7 bases militaires US sur le sol colombien. Le rayon d’action de ses bases et à l’échelle du continent sud américain, il pourrait presque atteindre l’Afrique de l’Ouest. De plus en 2010 les États-Unis ont ouvert une seconde base militaire au Honduras, pays "repris en main" par l’oligarchie locale et l’aide militaire et politique directe des États-Unis.
[5] Cocalero : cultivateur de coca.