Rôle du parlement français dans le soutien d’un processus global de démocratisation du continent africain.
Lire la lettre sur http://www.electionsafrique.org
Elections législatives à Djibouti, au Togo, au Cameroun, et en Guinée Conakry.
Lettre ouverte à l’attention de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale
du Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politique en Afrique.
Télécharger la lettre en version PDF
Paris, le 18 février 2013
Commission des Affaires étrangères, Assemblée nationale,
126 rue de l’Université, 75355 Paris 07 SP
Lettre ouverte à l’attention de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale,
Mme Elisabeth Guigou, présidente, PS,
Les vice-présidents, Mme Odile Saugues, PS, M. Michel Vauzelle, PS, M. Paul Giacobbi, Radical, M, Axel Poniatowski, UMP,
Les secrétaires, Mme Pascale Boistard, PS, M. Jean-Louis Destans, PS, M. Michel Terrot, UMP, M. Pouria Amirshahi, PS, député Français établis hors France Afrique Nord et Ouest.
Copies :
M. Laurent Fabius, Ministre des Affaires étrangères du gouvernement français, PS,
Ministère Affaires étrangères : M. Jean-Christophe Belliard, directeur Afrique, Mme Véronique Vouland, directrice adjointe Afrique, M. Laurent Bigot, sous-directeur Afrique Occidentale,
M. Pascal Canfin, Ministre délégué au Développement du gouvernement français, EELV,
Elysée : Mme Hélène Le Gal, M. Thomas Mélonio,
M. Jean-Christophe Cambadélis, secrétaire national international du PS,
Les membres de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée Nationale,
Les membres de la commission des affaires étrangères, défense et forces armées du Sénat,
M. Jean-Yves Leconte, sénateur des Français établis hors de France, PS,
M. Alain Marsaud, député des Français établis hors de France Afrique Centre, Sud et Est, président Groupe d’amitié France-Djibouti, membre commission des affaires étrangères, UMP,
Les présidents des Groupes d’amitié, M. André Schneider (Cameroun), membre de la commission des affaires étrangères, UMP, M. Jean-Yves Le Bouillonnec (Togo), vice-président de la commission des lois, PS, Mme Fanélie Carrey-Conte (Guinée Conakry), PS,
Les présidents de groupes : M. Bruno Le Roux (Socialiste ), M. Christian Jacob (UMP), M. Jean-Louis Borloo (UDI), Mme Barbara Pompili et M. François de Rugy (Écologiste), M. Roger-Gérard Schwartzenberg (Radical, républicain, démocrate et progressiste), M. André Chassaigne (Gauche démocrate et républicaine),
Commission de la défense nationale et des forces armées : M. Patricia Adam, présidente, PS, M. Jean-Jacques Candelier, vice-président, FdG/PCF.
*
Objet : Elections législatives à Djibouti, au Togo, au Cameroun, et en Guinée Conakry, et rôle du parlement français dans le soutien d’un processus global de démocratisation du continent africain.
Mesdames et Messieurs les députés,
Qui ne souhaite pas la fin de la Françafrique ?
Le théoricien de la ‘postcolonie’, Achille Mbembe, envisage la fin de ce « vaste système d’immunités fondé sur l’assimilation réciproque et la corruption mutuelle des segments des élites françaises et africaines » en ces termes : « Pour que ce système mi-suzerain, mi-prébendal et mi-tributaire soit véritablement démantelé, il faut que soient brisés les mécanismes qui permettent la reproduction et la permanence de formes de pouvoirs tyranniques en Afrique. »[1] Le devenir de la Françafrique et le devenir des dictatures dans les ex-colonies françaises sont interdépendants. Structurellement et historiquement, la responsabilité de l’Etat français est engagée dans la situation difficile que traversent, les unes après les autres, les anciennes colonies françaises pour se libérer des pouvoirs dictatoriaux.
Entre 2009 et 2011, l’Afrique francophone a connu une vague d’élections présidentielles dont les résultats ont souvent été contestés. Si des transitions démocratiques ont connu un certain succès, au Niger par exemple, la démocratisation du continent africain avance difficilement, et, certains régimes dictatoriaux ont réussi à trouver une ‘légitimité’ internationale en instrumentalisant une démocratie factice au moyen d’élections fraudées.
Fin 2012, début 2013, le hasard des calendriers électoraux amène une nouvelle vague d’élections, cette fois, législatives. L’enjeu de démocratisation se déplace des présidentielles aux législatives, mettant l’accent sur le renforcement des institutions. Les processus de démocratisation sont dans des impasses dans 4 pays qui organisent prochainement des législatives, Djibouti, Togo, Cameroun et Guinée Conakry, et l’attention portée à ces 4 pays permet aujourd’hui de penser la position française sur les efforts de démocratisation du continent.
A Djibouti, le 22 février 2013, auront lieu des législatives organisées par le président Ismaïl Omar Guelleh. Les seules élections pluripartites, depuis l’indépendance, qui se sont déroulées en 2003, ont été massivement fraudées au détriment de l’opposition unie (UAD), qui a obtenu officiellement 40% des voix, et, en réalité, plus de 50% : le régime s’est attribué la totalité des sièges des députés à l’assemblée nationale s’appuyant sur le scrutin de liste majoritaire à un tour[2].
Aucune revendication n’étant acceptée, les élections suivantes ont été boycottées, et, une grande partie des leaders ont été contraints à l’exil.
En amont, tout est fait pour décourager l’organisation d’une opposition démocratique, par la surveillance policière, des sanctions type licenciement pour ceux qui s’affichent avec les partis démocratiques, les arrestations et tortures des cadres actifs des partis[3], l’interdiction de partis comme le Mouvement pour le Renouveau démocratique et le Développement (MRD). Depuis le ‘printemps arabe’ et les manifestations massives contre le 3e mandat en février 2011, toute manifestation est interdite. La coalition Union pour le Salut National (USN) a accepté d’aller au scrutin malgré les risques. Le pouvoir refuse d’inscrire des milliers de Djiboutiens sur les listes électorales alors qu’il distribue des milliers de cartes électorales à des étrangers. Au pire, si le scrutin est truqué comme les précédents, suite à l’ajout récent de 20% de proportionnelle, même avec plus de 50% des votes réels, l’opposition pourrait n’obtenir que 10% des sièges. Un scénario d’un refus du verdict des urnes n’est pas accepté par l’opposition qui entend défendre le choix des Djiboutiens. La tension risque de croître face à la fin des espoirs. Aucune observation convenable n’est prévue pour éviter des fraudes massives, et toutes les revendications des démocrates pour organiser des élections transparentes, incontestables, ont été rejetées. Le président de l’USN (président du l’ARD), Ahmed Youssouf, et le porte-parole de l’USN (président du MRD), Daher Ahmed Farah, ont été interdits de candidature sous prétexte de double nationalité, alors que des candidats du parti au pouvoir dans le même cas ont été acceptés.
Le 5 février 2013, Daher Ahmed Farah a été arrêté puis libéré le lendemain, et la peur augmente. Le gouvernement très impopulaire fait le maximum pour pousser l’opposition à boycotter. Sur la scène internationale, Djibouti est considéré comme une place de plus de plus en plus stratégique en raison du combat contre la piraterie en Somalie[4], et parce que des bases militaires allemande et japonaise ont rejoint la française et la principale base militaire américaine en Afrique. Dans ce pays où règnent misère et grande corruption, où une quasi-famine est annoncée, les loyers de ces bases, 30 millions de dollars par an pour la France ou les Etats-Unis, sont détournés par le clan au pouvoir. Est-il normal que l’argent des contribuables enrichisse un régime dictatorial, qui se maintient au pouvoir par des élections fraudées et la répression ?
Dans la plupart des pays non démocratiques, le pouvoir arrive à désorganiser les démocrates en amont des scrutins. « Les élections législatives au Togo révèlent un enjeu important pour la démocratisation du continent africain parce qu’il s’agit d’un des seuls pays subissant une dictature militaire à façade démocratique où le régime pourrait quitter le pouvoir par les urnes, l’opposition ayant réussi à rester électoralement forte malgré les manœuvres récurrentes visant à la déstabiliser. »[5] Pour désorganiser l’opposition réelle, rappelant les méthodes de son père Eyadéma du début des années 1990, Faure Gnassingbé, le chef d’Etat togolais, n’a pas hésité, par une manipulation judiciaire suite aux incendies des grands marchés des villes de Kara et de Lomé les 10 et 12 janvier 2013, à accuser et emprisonner arbitrairement une trentaine d’opposants[6], dont l’ancien premier ministre et ancien président de l’assemblée nationale Agbéyomé Kodjo, président de l’Organisation pour Bâtir dans l’Union Un Togo Solidaire (OBUTS), et des responsables politiques d’autres partis politiques de l’alliance FRAC, que sont l’Alliance Nationale pour le Changement (ANC), le principal parti d’opposition, et l’Alliance des Démocrates pour le Développement Intégral (ADDI)[7]. La Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) est composée à 80% de membres du parti au pouvoir RPT-Unir et affiliés. Le pouvoir RPT-Unir refuse une organisation consensuelle des législatives avec les partis de l’opposition et les réformes institutionnelles et constitutionnelles qui garantissent un scrutin paisible, transparent et crédible. Les moyens de l’Etat sont à la disposition du parti RPT-Unir qui s’apprête à un achat massif des consciences. La méthode de fraude principale qui sera employée est déjà connue : le découpage totalement déséquilibré devrait permettre au parti au pouvoir, le RPT-Unir, d’obtenir une très large majorité de sièges avec une minorité de votes. A l’issue des élections législatives de 2007, l’Union européenne avait recommandé au gouvernement togolais de faire un redécoupage électoral qui tienne compte de la démographie. Cette recommandation n’a pas été prise en compte mais cela n’émeut guère l’Union européenne qui accepte ainsi, pour des raisons obscures, le principe de la fraude électorale en préparation. Le Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique, a mis l’accent sur ce point dans son courrier du 18 janvier 2013 à Catherine Ashton et Andris Piebalgs leur demandant un véritable soutien à la démocratie au Togo.[8] Accepterions-nous en France des élections gagnées d’avance par un parti minoritaire qui profiterait de règles électorales biaisées en sa faveur et d’un découpage électoral résultant de plus de 50 ans de dictature familiale ?
Au Cameroun, Paul Biya est un spécialiste de la « gestion opaque de l’agenda électoral visant à leurrer ses adversaires sur les échéances pour finalement les surprendre »[9]. Alors que des sénatoriales sont annoncées début d’été 2013, les mandats des députés ont été prorogés deux fois en 2012, le 19 avril pour six mois et le 21 décembre pour trois mois jusqu’au 21 mai. L’incertitude est forte concernant la date des législatives[10]. En octobre 2011, après 29 ans de pouvoir, le président habitant en Suisse s’est fait réélire avec 77,9% des voix, contre 10,71% à son principal rival John Fru Ndi. Cette élection, boudée par la population en raison d’un système électoral très contesté, s’est tenue avec un très faible taux de participation. En avril 2008, Paul Biya a imposé une révision constitutionnelle, supprimant la limitation du nombre de mandats présidentiels à deux mandats. En février 2008, un mouvement de contestation de cette révision, cumulé aux ‘émeutes de la faim’, a été réprimé dans le sang en 5 jours à peine. Au moins 150 jeunes ont été massacrés par les forces de l’ordre, rappelant l’assassinat de plusieurs centaines de personnes par le Commandement Opérationnel en 2000 et 2001. Aucun progrès notable n’a eu lieu depuis ces élections de 2011. Les élections sont toujours organisées par l’organisme « Elections Cameroun » (ELECAM), décrié par toutes les forces vives du pays et composé très majoritairement de membres du parti politique au pouvoir, le Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC). Surtout, Paul Biya « s’est spécialisé dans le montage de partis d’opposition factices, financés pour entrer dans son jeu et pour offrir une opposition de complaisance, afin de donner aux yeux des observateurs extérieurs des apparences de démocratie ».[11] En mai 2011, le parlement camerounais a même, par « précaution », retiré à ELECAM la fonction de publier les résultats provisoires pour en attribuer l’exclusivité au Conseil Constitutionnel bien que ce Conseil Constitutionnel n’ait pas encore été mis en place et que son rôle soit rempli jusqu’aujourd’hui par la Cour Suprême dont les membres sont nommés par Paul Biya. Le Sénat et le Conseil constitutionnel, toujours pas mis en place, ont été ‘nouvellement’ institués dans la Constitution du 18 janvier 1996 dont presqu’aucune disposition n’a été mise en application à ce jour, hormis l’allongement de la durée du mandat présidentiel de 5 à 7 ans et sa limitation à 2, disposition elle-même déjà abrogée en 2008. Le Cameroun, où règne aussi corruption et misère, est connu pour la censure de la presse et les emprisonnements de journalistes[12]. La rencontre Biya-Hollande à Paris en janvier 2013, à quelques mois des sénatoriales annoncées et des hypothétiques législatives, dont la date ne dépend que du caprice du prince, n’a pas mis publiquement l’accent sur l’instauration de la démocratie et de l’Etat de droit. Faut-il se résoudre, comme beaucoup de Camerounais terrorisés, à ce que seul le décès du président puisse mettre fin à son règne, au risque de perpétuer son système ?
En Guinée Conakry, les législatives sont reportées régulièrement depuis décembre 2011. Les fraudes qui ont marqué la présidentielle de novembre 2010 pèsent d’un grand poids sur la transition démocratique. Si les résultats ont été acceptés par l’opposition, Alpha Condé : 52,52% contre Cellou Dalein 47,48%, les risques de crises et de violences avaient aussi joué dans l’acceptation des résultats en dépit des fraudes. Le régime d’Alpha Condé, qui a commencé sa mandature avec un soutien assez marqué en Occident, s’est ensuite dégradé, au niveau des droits humains, des tensions ‘ethniques’, de la corruption sur de gros contrats miniers, et du processus électoral. Les législatives sont censées pouvoir mettre un terme au processus de transition, et sont essentielles pour qu’un débat sain puisse s’instaurer et renforcer la démocratie. Lors de sa rencontre avec Alpha Condé le 2 juillet 2012, François Hollande a « confirmé le soutien de la France à l’action de l’Organisation internationale de la francophonie pour contribuer à instaurer la confiance entre toutes les forces politiques guinéennes. »[13] Dès le 2 août, les partis politiques d’opposition regroupés dans le ‘Collectif des partis politiques pour la finalisation de la transition’ et leurs leaders, dont Cellou Dalein Diallo de l’UFDG et Sidya Touré de l’UFR, ont dénoncé le rôle de l’OIF[14], évoquant le fichier électoral, dont la préparation a été confiée à la société sud-africaine Way Mark, sans appel d’offres. Un rapport du PNUD, puis un autre de l’OIF le 21 juillet, ont mis en cause la qualité des prestations de Way Mark, et depuis la situation s’est bloquée. La restructuration de la CENI a fait également l’objet de très longues négociations, et une nouvelle CENI continue de faire l’objet d’un conflit[15]. L’incertitude sur la date du scrutin demeure, la date du 12 mai a été communiquée en relation avec le déblocage de subventions européennes. Alors, qu’en 2011, les manifestations avaient fait plusieurs morts, à partir du 13 février 2013, considérant « un dialogue bloqué, une CENI en panne, un opérateur de saisie décrié »[16], l’opposition prévoit de nouvelles manifestations.
Dans d’autres pays encore, les processus électoraux sont bloqués. En Mauritanie, il n’y a plus aucune nouvelle des législatives, reportée depuis septembre 2011. A Madagascar, la présidentielle et les législatives seront enfin organisées les 24 Juillet et 25 Septembre 2013, après 4 ans de médiation chaotique et conflictuelle impliquant la SADC (Southern African Development Community), l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et l’Union Africaine. Le 5 février 2013, François Hollande s’est exprimé devant le Parlement européen : « L’Europe, c’est un continent de paix et de démocratie qui ne cherche rien pour lui-même, mais qui apporte au reste du monde son héritage, ses valeurs, ses principes. Et donc, l’Europe, elle doit prendre sa part du combat pour la démocratie, pour la dignité humaine, et c’est la raison pour laquelle, j’ai décidé au nom de la France d’intervenir au Mali. »… « Nous devons aussi dans cette redistribution des cartes de la puissance à l’échelle du monde, ne laisser aucun doute sur la détermination de l’Europe à porter ses valeurs. Mais nous devons en tirer, là encore, les conséquences, avoir la lucidité indispensable, pour élaborer une stratégie, pour conduire une véritable politique extérieure commune, pour avoir une défense européenne. »[17] Pour chaque pays d’Afrique aux prises avec la dictature, il y a urgence, et aucune solution ne semble pouvoir venir actuellement de l’Union européenne, qui, comme le disait également François Hollande à Strasbourg, « pratique tantôt la fuite en avant, tantôt l’immobilisme ». Cela apparaît au Togo. La politique étrangère européenne, très mal définie, en réalité sous la responsabilité des Etats membres, est sans réactivité face aux aléas des processus conflictuels de démocratisation. Dans des pays comme le Togo, elle est piégée dans des négociations informelles et peu transparentes, imposées par les régimes non démocratiques, risquant d’être influencée par des intérêts personnels. Les progrès qui s’observent parfois au niveau droits humains, liberté de la presse, développement économique, lutte contre la corruption, bloquent sur la question du pouvoir. Les dictateurs ne quittent pas le pouvoir volontairement, n’organisent pas d’élections pour les perdre. Certains préfèrent juste lâcher du lest, et, dans ces cas, souvent, la tension augmente tant qu’ils ne sont pas vaincus. La politique européenne de soutien à la démocratie en Afrique a atteint ses limites : elle est actuellement instrumentalisée et neutralisée, elle mériterait d’être reconçue et relancée.
François Hollande a évoqué la démocratie lors du Sommet de la Francophonie à Kinshasa : « Les temps ont changé, la France est maintenant désireuse à la fois de respecter tous ses interlocuteurs, mais aussi de leur dire la vérité. Cette vérité n’est pas celle de la France, c’est celle des droits fondamentaux, des libertés essentielles et de la démocratie. », « C’est une nouvelle politique qui est en train de se définir, c’est-à-dire que nous avons du respect, nous avons de la considération, mais en même temps on se dit les choses et on aide. » « C’est un message envoyé à tous les chefs d’Etat africains. Je les considère, je suis conscient, lorsqu’ils ont été élus par un processus démocratique, qu’ils représentent pleinement leur pays. Quand ils n’ont pas été élus par cette procédure, je fais en sorte d’avoir de bonnes relations d’Etat à Etat, mais je reconnais aussi les opposants dès lors qu’ils s’inscrivent dans la démocratie, qu’ils veulent concourir sans violence à ce que ce soit les urnes qui décident en Afrique comme partout ailleurs. »[18]
Les dictateurs ‘amis de la France’ entrainent ou essayent d’entrainer le nouvel exécutif français dans une prolongation de la Françafrique, chacun selon sa méthode. Ils défilent à Paris au point que, pour les peuples africains, l’espoir d’un changement de politique s’estompe. Blaise Comparoé du Burkina Faso profite du conflit malien en continuant sa diplomatie d’appoint. Le dictateur tchadien, l’un des plus féroces des anciennes colonies, Idriss Déby n’a pas arrêté de se rapprocher de Paris en utilisant le besoin de soldats au Mali. En Mauritanie, Mohamed Ould Abdel Aziz, revenu de ses soins en France, joue sur sa position près du foyer du terrorisme. Le Camerounais Paul Biya vient de s’entretenir à l’Elysée avec François Hollande, grâce aux intérêts économiques des entreprises françaises. Alpha Condé, très mal élu en 2010 en Guinée Conakry, teste les capacités de l’Organisation Internationale de la Francophonie sur le processus électoral. Ali Bongo est sans doute le seul qui ait vraiment ressenti le changement, et cela, en raison de la mobilisation des sociétés civiles française et gabonaise lors de sa visite. D’autres, qui n’ont pas encore été reçus à Paris, s’adaptent très vite. Faure Gnassingbé habile à manipuler la communauté internationale sur la démocratisation du Togo, a tenté un échange de soldats contre le silence sur l’écrasement momentané de l’opposition. A Djibouti, Ismaïl Omar Guelleh, mal vu à Paris depuis l’assassinat du juge Borrel, utilise sa position géographique stratégique militairement. Sassou N’Guesso est assis sur les réserves de pétrole du Congo-Brazzaville et attend la suite des procédures sur les Biens Mal Acquis. Par ailleurs, alors que la diplomatie française accorde plus d’écoute aux opposants démocrates de passage à Paris, deux d’entre eux ont été emprisonnés arbitrairement dans leur pays alors qu’ils rencontraient fin 2012 les autorités françaises. Au Togo, depuis le 18 janvier 2013, l’ancien premier ministre Agbéyomé Kodjo est détenu, et, à Djibouti, le porte-parole de la coalition de l’Union pour le Salut National (USN), Daher Ahmed Farah a été arrêté du 5 au 7 février 2013. Manifestement, l’accès au dialogue avec les autorités françaises n’apporte que peu de protection aux démocrates face à la répression.
Le débat sur rôle du Parlement français dans la définition et le contrôle de la politique étrangère a été de nouveau abordé à l’occasion de l’intervention militaire au Mali. Le président François Hollande a déclaré avoir « décidé au nom de la France d’intervenir au Mali » en raison d’un « combat pour la démocratie, pour la dignité humaine », alors que cette intervention se rattache à d’autres intérêts et objectifs. L’impact du conflit malien sur l’ensemble des pays africains est considérable, et en particulier sur les anciennes colonies françaises, où l’intervention française a déjà permis de « ressusciter les séquelles du passé »[19]. L’armée française reste par ailleurs prisonnière d’un dispositif néocolonial caduc en coopérant quotidiennement avec des régimes dictatoriaux bien identifiés. Il serait à son honneur de savoir en sortir. La théorie de la « stabilité » qui a cru pouvoir justifier l’inacceptable n’est plus d’actualité. La guerre au Mali a aussi rappelé la fragilité des régimes, même plus démocratiques selon certains critères, face aux trafics, à la corruption, au sous-développement, à la faiblesse des revenus des ressources naturelles. La situation est pire dans les pays les moins démocratiques. La fausse démocratie faite d’élections fraudées et de processus électoraux biaisés ne trompe plus que ceux et celles qui veulent bien se laisser tromper. Chaque élection fraudée implique de reporter de plusieurs années les espoirs. Quant au silence de ceux et celles qui ne pourront plus dire qu’ils ou elles ne savaient pas, seules les populations africaines pourront un jour lui attribuer un sens.
Le Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politique en Afrique invite le Parlement français à s’impliquer dans la réforme de la politique française dans le sens d’une affirmation sans ambigüité d’un soutien au processus global de démocratisation du continent africain. La série de législatives à Djibouti, au Togo, au Cameroun et en Guinée Conakry, offre une occasion de redonner une visibilité à l’action du parlement et de faire preuve d’un dynamisme démocratique qui puisse enfin avoir des retombées positives en Afrique.
Pour le Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politique en Afrique,
les signataires : Union des Populations du Cameroun (UPC), Collectif des Organisations Démocratiques et Patriotiques de la Diaspora Camerounaise (CODE, Bruxelles), Fédération des Congolais de la Diaspora (FCD, Congo Brazzaville), Ça suffit comme ça ! (Gabon), Alliance Républicaine pour le Développement (ARD, Djibouti, USN), Mouvement pour Renouveau Démocratique (MRD, Djibouti, USN), Mouvement des Forces Démocratiques de l’Opposition (MFDO, Guinée Conakry), Alliance Nationale pour le Changement Ile-de-France (ANC-IDF, Togo), Collectif des Associations Contre l’Impunité au Togo – France (CACIT France), Sortir du Colonialisme, Fédération pour une Alternative Sociale et Ecologique, Parti Communiste Français, Parti de Gauche, Europe Ecologie les Verts.