La posture militaire des États-Unis est un péril pour tout le continent américain

"Nous avons vu l’augmentation du militarisme sous (Barack) Obama et la fin de l’illusion Obama pour beaucoup de libéraux progressistes, de centre-gauches, de mujiquistes (de José Mujica), qui avaient mis beaucoup d’espoir dans ce que signifiait l’élection d’Obama. [...]
Le plus grand danger c’est cette posture militariste des États-Unis. C’est le grand danger pour tout le continent. La profondeur et l’étendue de cette politique est une menace à courte terme, penser aux années à venir n’est pas le sujet".

Une interview en duplex de James Petras, professeur de sociologie à l’Université Binghamton de New York, réalisée lundi 28 décembre 2009 par CX36, la radio centenaire uruguayenne.
Un bilan de l’année et quelques réflexions sur l’an qui vient lancées par un intellectuel de gauche nord-américain à propos de l’Amérique Latine et de son propre pays.

Je partage sur :

"Nous avons vu l’augmentation du militarisme sous (Barack) Obama et la fin de l’illusion Obama pour beaucoup de libéraux progressistes, de centre-gauches, de mujiquistes (de José Mujica), qui avaient mis beaucoup d’espoir dans ce que signifiait l’élection d’Obama. [...]
Le plus grand danger c’est cette posture militariste des États-Unis. C’est le grand danger pour tout le continent. La profondeur et l’étendue de cette politique est une menace à courte terme, penser aux années à venir n’est pas le sujet".

Une interview en duplex de James Petras, professeur de sociologie à l’Université Binghamton de New York, réalisée lundi 28 décembre 2009 par CX36, la radio centenaire uruguayenne.
Un bilan de l’année et quelques réflexions sur l’an qui vient lancées par un intellectuel de gauche nord-américain à propos de l’Amérique Latine et de son propre pays.


Efraín Chury : Bonjour Petras, comment ça va ?

James Petras : Ici nous sommes dans l’hiver mais avec encore peu de neige et beaucoup de froid. En tout cas un temps typique pour cette période. Du coup j’ai essayé de faire quelques réflexions sur l’année que nous venons de passer et ce que nous pourrions attendre de l’avenir.

Efraín Chury : Il me semble que si tu nous en parles c’est mission accomplie, ainsi nous t’écoutons.

James Petras : Bon. Pour commencer parlons de ce qui s’est passé au niveau de l’économie, qui a été catastrophique avec la perte de dizaines de millions d’emplois dans le monde capitaliste, tant en Europe, aux États-Unis, en Amérique Latine, en Afrique et à un moindre degré en Asie. Mais le fait que la récession a touché le fond cette année ne signifie pas que c’est fini pour l’année prochaine,cela pourrait recommencer encore une fois d’une manière abrupte. En tout cas cela montre pour beaucoup de gens - et c’est le plus positif - que le capitalisme ne fonctionne pas, il ne peut pas s’acquitter les conditions économiques minimales. Il y a des centaines de millions de personnes qui le rejette pour le moins - et je dis cela - le modèle du capitalisme néolibéral, du capitalisme du mal nommé "libre marché". Maintenant, sur l’alternative qui reste encore en suspend, parce qu’il n’y a pas de définitions claires et il n’y a pas de pouvoir politique qui peut montrer que le socialisme est meilleur, qu’il pourrait être un grand saut en avant, alors nous sommes face à un modèle en plein discrédit et à un autre en naissance, avec l’exception du Venezuela, où ils ont bien avancé à travers plusieurs nationalisations et le rejet de la politique guerrièere-militariste impérialiste.

Le deuxième point important est l’échec des pays capitalistes dans leurs efforts pour parvenir à un accord pour améliorer le climat lors du sommet de Copenhague. Mais encore une fois, vu de l’autre côté le fait que des douzaines de milliers de personnes protestaient là-bas et
que des pressions ont été initiées par les pays du sud sur une autre manière d’affronter le problème, c’est un peu positif.

Et troisième point, nous avons vu l’augmentation du militarisme sous (Barack) Obama et la fin de l’illusion Obama pour beaucoup de libéraux progressistes, de centre-gauches, de mujiquistes (de José Mujica), qui avaient mis beaucoup d’espoir dans ce que signifiait l’élection d’Obama.

Avec les mesures prises, tant en canalisant des trillions vers Wall Street, mais plus que tout son interventionnisme militaire en augmentant les troupes envoyées en l’Afghanistan, en attaquant le Pakistan et le Yémen et pire encore, en montant un coup d’État au Honduras, en investissant sept bases militaires en Colombie, en réactivant la quatrième flotte dans l’océan Atlantique en face de l’Amérique Latine. Tout cela me semble l’indication que Washington n’a pas d’alternatives en dehors du militarisme et cela a provoqué un rejet assez important en Amérique Latine, même parmi les gouvernants qui ne sont pas grande chose mais qui au moins face à cet extrémisme de la Maison Blanche ont créé une situation où Washington est resté seul. En face du coup au Honduras, Washington était le seul régime dans l’hémisphère qui ne voulait pas le reconnaître comme un putsch militaire, il a saboté les possibilités de retour de Zelaya, mais il est resté seul bien que quelques gouvernements l’aient timidement soutenu. L’opposition dont Chávez a pris la tête représente évidemment les sentiments de millions de personnes à travers l’Amérique Latine.

Les sept bases militaires représentent aussi une autre indication que Washington est entrain de projeter une agression contre le Venezuela. L’installation unilatérale a été suivi par un rejet de quasiment tout le continent. Je dis quasi tout parce que peut-être un ou deux pays ne sont pas d’accord. Mais encore une fois Washington reste diplomatiquement seul. Cela me semble positif parce que face à cette offensive militariste, les populations voient la possibilité du retour des dictatures militaires qui ont provoqué tant de morts, emprisonnés et torturés tant de gens. Pour cette raison Obama a perdu plusieurs des sympathies qu’il avait et maintenant est un personnage aussi détesté que Bush. Peut-être pas avec autant de gens mais c’est le processus, la tendance à venir c’est que le discours Obama ne va influencer personne.

Nous pourrions aussi dire qu’en l’Amérique Latine il y a une étendue et un approfondissement de la diversification des associations économiques avec l’Asie mais aussi avec le Moyen-Orient qui montre que les gouvernements bourgeois, au moins dans les conditions actuelles, reconnaissent qu’il y a à gagner à se mettre quelques distances de la subordination nord-américaine. À l’exception Du Mexique qui est un pays cassé dans tous les sens, avec les narcotrafiquants qui influent même les ministres du gouvernement et les généraux. En dehors du Mexique, d’autres pays ont pris de la distance avec un pays qui n’est plus le marché principal le Brésil, le Chili, le Pérou et peut-être dans l’avenir l’Argentine et l’Uruguay bien que déjà l’Argentine ne soit pas si liée aux États-Unis.

C’est une autre indication que les changements dans la configuration mondiale sont en marche.

En dehors de cela, sur la politique en Amérique Latine nous pourrions noter deux choses. La première, c’est l’affaiblissement de la droite traditionnelle, répudiée dans les urnes, en dehors du Chili. Et la seconde, c’est le surgissement du libéralisme social. C’est-à-dire, en avançant le capitalisme à partir de l’agriculture et de l’extraction de minerais, des exportations et plusieurs secteurs manufacturiers. Avec des prix hauts dûs en grande partie aux industries minières, au gaz, au pétrole, aux métaux, à l’agrobusiness des graines, sucre, soja, qui ont obtenu des revenus et appui les secteurs de la bourgeoisie pour une victoire du centre-gauche en Uruguay, en Bolivie, qui sont des gouvernements réellement capitalistes qui ont une énorme présence de capitaux étrangers.
En Uruguay c’est le capital financier-immobilier et les secteurs d’exportation de l’agriculture, dans le cas de la Bolivie également avec un gouvernement qui a obtenu un appui très important des secteurs bourgeois. Au sud de La Paz qui était un bastion de la droiten Evo Morales a réussi pour la première fois à avoir la majorité et aussi des contributions importants pour sa campagne de la part de secteurs de Santa Cruz et d’autres lieux.

Que signifie le libéralisme social ? Cela indique simplement une politique assistancialiste, des programmes contre ce qu’on appelle la pauvreté extrême, à l’intérieur les paramètres structuraux du capitalisme. Et cela indique que les structures de classe, l’inégalité et la concentration des richesses vont suivre également.

Et la gauche ignorante continue de parler de comment cela sont grandes avances de gauche, qui le ne sont pas. Elles sont ce qu’elles sont : le capitalisme avec programmes assistancialistes. Tout cela signifie que les mouvements sociaux qui ont raccroché le train du libéralisme social, ont arrêté d’être des protagonistes avec leur propre calendrier.

La même chose se passe au Brésil et nous pourrions dire qu’en Argentine il n’y a pas de grande différence. La période est une période - dans le meilleur cas - de luttes revendicatives et la crise économique qui est tombée sur l’Amérique Latine n’a pas provoqué de radicalisation du moins depuis les mouvements sociaux. L’exception encore une fois ce sont les relations au Venezuela où la pression de la classe ouvrière a entrainée plusieurs nationalisations dans l’industrie de l’acier, dans l’industrie de l’électricité. Les ouvriers ont gagné un rôle prépondérant dans la gestion des entreprises, elles ne sont pas simplement nationalisées mais ont également eu un changement dans leur structure de gestion.

D’un autre côté nous pourrions dire qu’il existe une lutte avec beaucoup de courage dans les pays comme la Colombie par exemple, malgré les assassinats commis par les paramilitaires.

En Équateur c’est très problématique parce que nous avons reçu des informations de critiques de la part des mouvements sociaux et d’un autre côté la Correa continue d’être un homme politique populaire. Il y a une ambiguïté dans le cas de l’Équateur, avec une politique sociale libérale avec un soutien populaire comme Evo Morales, mais sans une définition claire à propos des industries stratégiques de l’économie.

Nous devons penser à cette situation pour l’année qui vient.

Le plus grand danger est cette posture militariste des États-Unis. C’est le grand danger pour tout le continent. La profondeur et l’étendue de cette politique est une menace à court terme, penser au années à venir n’est pas le sujet.

Ici aux États-Unis nous n’avons pas tant de bonnes nouvelles. Il y a une offensive sur le plan santé qui n’est pas bénéfique pour le peuple. C’est un plan pour imposer des sécurités [sociales] mais qui est très cher pour les pauvres et est administré par le secteur privé. C’est la grande lutte, et il y a un désenchantement avec Obama. Même sa popularité est tombée à 40 % et continue à descendre, mais nous n’avons pas encore de grandes expressions de rejet. Il y a beaucoup de mécontentement mais sans aucune tête politique au niveau national.
C’est le dilemme que nous affrontons : un désenchantement et les élections du Congrès l’année prochaine. J’ai peur de deux choses : l’une qu’il y ai une forte abstention pour laquelle possiblement nous pourrions dire qu’il est positif de laisser choisir entre les deux partis capitalistes, mais d’un autre côté je crois que si la droite républicaine est rusée et adopte un discours pseudo populiste ils pourraient recommencer à avoir quasiment une majorité au Congrès et nous restons avec l’ultra droite au Congrès et la droite à la Maison Blanche. C’est très possible si les tendances actuelles se poursuivent.

Et le positif c’est quoi ici aux États-Unis ? Le positif consiste à ce que le capitalisme n’a pas résolu le problème du chômage et l’expropriation des gens qui ne peuvent plus payer leurs hypothèques. Et il y a des millions de personnes qui se sentent incertaines et qui remettent en cause le fonctionnement du système. Mais il n’y a pas encore dans ce grand mécontentement de réflexion sur le socialisme.

Comme nous n’avons aucune référence socialiste depuis de nombreuses d’années à l’échelle nationale, en contraste même avec l’Europe où au moins il existe formellement une alternative socialiste, ici elle nous manque. Et dans ce sens ce sont des choses qu’il est difficile de rectifier.

Au sujet du Moyen-Orient, et des guerres là-bas qui sont très influencées par le pouvoir sioniste dans cette situation nord-américaine, nous avons encore deux choses : un pouvoir sioniste au gouvernement avec un maximum de force, mais aussi un rejet croissant du sionisme y compris dans les secteurs juifs qui sont rejetés ce terrorisme que représente la guerre contre la Gaza et les assassinats. Il y a une énorme augmentation du rejet d’Israël et du sionisme, je ne sais pas si c’est la majorité mais par rapport au passé ce rejet a beaucoup grandi et c’est positif, bien que les crimes d’Israël et le soutien nord-américain continuent d’être les deux facteurs [déstabilisants] dans cette région.

L’autre point c’est le problème que Washington a avec les pays dynamiques comme la Chine et autres, qui n’a pas pus être compensé par une dynamique interne et qui fait que l’on pensent augmenter l’agressivité envers la Chine, au moins verbalement. Des agressions et des insultes sur leur plan économique, leur plan d’environnement, leur relations avec l’Iran, etc.

Il y a une campagne pas frontale mais directe ou indirecte, sans penser aux conséquences. Parce que la Chine est propriétaire de plus d’un trillion cinq cents milliards des bons du Trésor nord-américain et s’ils voulaient écarter le dollar nous serions en chute libre. Il y a un aventurisme à Washington qui échoue dans la gestion [d’une situation] et répète la même chose ; ils échouent en Irak et monte une guerre en Afghanistan ; ils échouent à renverser le gouvernement de Chávez alors ils renversent celui de Zelaya au Honduras ; ils échouent avec l’embargo de Cuba et [plutôt que d’arrêter] le relance. Ici il y a une politique sans capacité de réflexion, sans la possibilité de rectifier, sans le possibilité de commencer une nouvelle étape et c’est autant une pathologie psychologique et qu’une pathologie politique.

Efraín Chury : Bien Petras, nous arrivons à la fin et je voulais te dire en une très brève analyse qui se réduit à une seule phrase, qu’en 50 ans de journalisme je suis venu à apprendre qu’ici en Uruguay, les grands dirigeants de gauche n’étaient autre chose que des gens qui voulaient jouir un jour des privilèges qu’avaient les membres des partis traditionnels qui avaient gouverné jusqu’alors. Ce serait la synthèse que l’on pourrait faire de mon pays en ce moment et je te dis ce qui suit : je te remercie beaucoup toute une année ; il y en a plus, mais cette année parce qu’aujourd’hui nous terminons cette interview avec la promesse de nous retrouver à nouveau en 2010, qui sera sûrement très prodigue dans tes commentaires, en analyse, toutes les choses que nous pouvons faire circuler pour une meilleure connaissance des gens.

Il me reste à t’envoyer un énorme salut, une énorme accolade au nom de l’audience et que le 2010 soit la meilleure des années pour toi et pour tes gens.

James Petras : Le même pour vous, en incluant les femmes au foyer, les chauffeurs de taxi, les cadis et les autres qui sont les auditeurs. Une grande accolade.

Efraín Chury : Une grande accolade.

Traduction : Primitivi
 : Radio 36 ’’La postura militarista de Estados Unidos es un peligro para todo el continente’’