Quand les médias alternatifs et les organisations sociales sont taxés de "terroristes"
Ces dernières semaines les médias de communication alternatifs, des étudiants des universités publiques et des leaders sociaux de diverses régions de Colombie ont reçu des menaces de mort de la part des paramilitaires d’extrême droite à cause de leurs supposées alliances avec les guérillas et le "terrorisme".
Des menaces ont déferlé en novembre - décembre sur les médias critiques colombiens et sur de nombreux leaders sociaux, provenant de destinataires différents mais toutes avec une même signature : celle du langage “paraco” (paramilitaire d’extrême droite), avec des informations qui pourraient faire penser aux fruits du labeur des services de renseignements de l’État... Menaces inquiétantes du fait du nombre de journalistes tués par an en Colombie : au moins 56 journalistes assassinés depuis 2000 (142 depuis 1977).
Lamentablement ces situations ne sont pas nouvelles. Il suffit de se rappeler des paroles récentes du Sénateur Álvaro Uribe (président de la République de 2002-2010) taxant ces médias d’être “au service du terrorisme” pour avoir osé retransmettre l’audience publique spéciale où des explications lui ont été réclamées sur ses liens avec le para-militarisme.
On peut analyser que c’est quand les médias alternatifs ou les référents sociaux “dérangent”, que ressurgit la stratégie du pamphlet et de la menace. En effet, les menaces sont tombées au moment-même où fut révélé le scandale des “écoutes illégales” des tables de négociations de La Havane (entre les FARC et le gouvernement), écoutes organisées par l’extrême droite.
Ou bien encore lors du scandale du général Alzate (avec le discrédit jeté sur les forces militaires quant à l’inconséquence flagrante de l’un de ses plus hauts gradés) et l’évidence des liens d’un certain nombre de militaires et de policiers avec les "bandes criminelles" ou BACRIM, autre nom donné aux paramilitaires.
L’un des groupes faisant les promotions de ces pamphlets menaçants, se faisant appeler “Bloc Capital des Aigles Noirs”, a déjà ciblé ses menaces sur des personnalités politiques de "gauche" (le maire de Bogotá ex-membre de la guérilla du M19, des sénateurs...) et des “organisations de défense des droits humains”, autre nom pour parler des mouvements de base luttant contre les multinationales, les compagnies minières et pétrolières et les crimes paramilitaires ou gouvernementaux.
Il serait irresponsable d’ignorer simplement les menaces, étant donné l’impunité dont jouissent les secteurs criminels en lien avec l’agence gouvernementale de renseignement et les forces militaires. Cependant, ces menaces, par l’ampleur du nombre de “cibles” signalées dans les lettres, paraissent avoir un autre but : celui de terroriser.
Et ce dans un contexte de reprise des dialogues de paix de La Havane et l’expectative nouvelle que se concrétisent les dialogues avec l’ELN (autre guérilla d’extrême gauche plutôt guévariste : l’Armée de Libération Nationale), au grand dam de l’extrême droite opposée à toute idée de négociation.
L’un des collectifs de presse menacés par les paramilitaires analyse : “Le profil des médias menacés montre clairement qu’ils tiennent des postures critiques face aux forces militaires. C’est une stratégie d’intimidation, pour que cesse leur travail social ou d’investigation. Et ce, surtout dans le cas des journalistes à qui il est demandé de se taire, pour qu’ils ne portent plus à connaissance certains processus sociaux dans lesquels nous avons identifié que, hormis le fait de parler de "paix", il y a une ligne très claire en faveur des droits humains, et un signalement de la corruption et des exactions des bandes criminelles.”
Nous, médias alternatifs, journalistes et personnes impliquées dans la lutte sociale, dont fait partie Colombia Informa, continuerons nos projets. Mais sans laisser de côté les précautions légales et de sécurité, vu qu’on ne peut oublier la longue liste des assassinats perpétrés par le para-militarisme - toujours actif, au-delà de la véracité ou de la gravité des pamphlets en question -. De la même manière que ce qu’il se passe avec les syndicalistes (la Colombie détient le triste record mondial) ou les leaders sociaux ou paysans. Conscients de la situation, tout comme de la nécessité prioritaire d’avancer dans la construction d’un futur comptant sur une paix véritable, sans peurs mais avec des changements, nous réaffirmons la déclaration faite par les médias menacés : "ni celle-là, ni aucune menace n’empêchera que nous fassions notre travail pour la défense des droits humains ; les menaces au lieu de nous isoler et nous intimider, nous unissent dans la défense des droits du peuple".
La Colombie en chiffres :
5,2 millions de déplacéEs par la violence entre 1985 et 2010 (sur une population globale de 40 millions)
173 000 assassinats, conséquence de la violence principalement paramilitaire entre 2005 et 2010
+ de 100 000 prisonnierEs de la guerre sociale dont 9 000 prisonnierEs politiques (insurgéEs de la lutte armée, d’organisations des droits de l’homme, d’associations de protection environnementale, ou tout opposantE au régime)
plus de 5000 faux positifs (personnes tuées puis habillées en guérillerros pour justifier l’argent investi par les USA dans le Plan Colombie)
plus de 2800 syndicalistes assassinéEs depuis 1984 plaçant la Colombie au premier rang mondial.
2004 : 8 millions d’hectares explorés pour la production d’hydrocarbures contre 38 millions en 2011
30% des militaires ont pour fonction de protéger les infrastructures pétrolières
Un peu plus sur les paramilitaires :
PARAMILITAIRES OU « PARACOS »
En 1959, c’est la révolution castriste à Cuba. L’État colombien a peur de la contagion et veut se débarrasser des opposants qui veulent une réforme agraire. Il emploie pour ça l’armée et les paramilitaires ou « paracos » d’extrême droite. Dès 1965, l’État avec le soutien des USA légalise l’entraînement et l’armement de troupes de « civils armés » par l’Armée.
Grâce au soutien de l’Armée, les groupes paramilitaires, alors au service des grands propriétaires terriens et des éleveurs bovins, se structurent au sein d’une stratégie nationale de contre-insurrection. Prenant le nom de coopératives d’auto-défense agraires, les « CONVIVIR » signifiant « vivre ensemble » (sic), les paramilitaires fusionnent et prennent le nom d’AUC, « Autodéfenses Unies de Colombie ».
Conflit de basse intensité et stratégie paramilitaire
Outre les actes de torture attribués prioritairement aux mercenaires classiques de l’État (police, armée), la majorité des crimes est attribuée aux paramilitaires avec en 5 ans, environ 200 000 assassinats et des milliers de disparus.
Le rôle du paramilitaire ou « paraco » est à la fois de protéger les intérêts des propriétaires terriens et l’implantation des transnationales (Coca-Cola, Chiquita...) mais aussi de faire le « nettoyage social » pour éliminer non pas les insurgéEs, comme Uribe l’a soutenu dans les médias, mais la population civile dont :
les syndicalistes ; les étudiantEs gênantEs... et les opposantEs de l’Union Patriotique (UP), parti d’extrême gauche dont tous les membres ont été décimés dans les années 80 soit environ 7500 personnes, les militants, les communautés qui ont massivement voté pour l’UP...), véritable génocide politique ou plan d’extermination appelé « baile rojo » (danse rouge).
les « déviantEs » : les enfants des rues, les punks, les « improductifs »...
les indienNEs, les afrodescendantEs, les paysanNEs, qui ne veulent pas quitter leurs terres.
Les moyens utilisés sont la terreur des populations par des massacres sur des vivantEs à la tronçonneuse à la campagne et les couvre-feux dans les quartiers pauvres urbains. Après 18h, chaque personne trouvée est liquidée. On parle aujourd’hui de 3000 fosses communes en Colombie.
traduction et remise en forme du texte du collectif de Colombia Informa, média alternatif colombien.
+ extrait brochure sur la Colombie "paroles de ColombienNEs"