Alors que les ministres du logement, de l’urbanisme, de l’aménagement du
territoire et du développement durable devaient se réunir le lundi 24 à
Marseille, un petit groupe de gens avait décidé de se réapproprier un de ces
innombrables lieux vacants de la rue de la République.
occupation et expulsion rue de la république, marseille samedi 22 novembre*
« Nous ne revendiquons riens. On n’attend rien de personne. Face à la
répression et à l’exploitation, organisons nous-mêmes la résistance. On aura
ce qu’on prendra. On s’en fout du droit. »
Il est 23h50’54’’ quand la petite troupe de gens massés au pied du 69 rue de
la République reçoit ce SMS de revendication signé « les occupants du toit
du globe ».
Dans la journée du samedi 22 novembre, des banderoles (« ils investissent,
nous aussi ») avaient été déployées depuis un immeuble occupé depuis
quelques jours au moment où la manifestation pour le droit au logement
passait sous les fenêtres du bâtiment.
Alors que les ministres du logement, de l’urbanisme, de l’aménagement du
territoire et du développement durable devaient se réunir le lundi 24 à
Marseille, un petit groupe de gens avait décidé de se réapproprier un de ces
innombrables lieux vacants de la rue de la République. Depuis des années, le
patrimoine immobilier de cette rue comme de l’ensemble du périmètre Euromed passe de mains en mains : banques, fonds de pensions, etc. qui ont vidé le quartier de ces habitants à coups d’expulsions, d’intimidations,
d’incendies, etc. Aujourd’hui, la moitié de la rue appartient à ATEMI dont
la banque Lehmann brothers, largement actionnaire, est désormais en
faillite. D’où ces quelques slogans criés sous les banderoles : « la rue de
la république est vide, reprenons-la », « Lehmann brothers est mort, vive la
crise ! »
Le soir même, une discussion était proposée dans le lieu « pour construire
ensemble les ripostes et solidarités à venir contre l’aménagement urbain et
ses expulsions » (extrait du tract). Il s’agissait aussi d’emblée de faire
vivre collectivement cet ancien hôtel avec son bar (le Globe) au
rez-de-chaussée. Le projet n’était pas de faire une occupation spectaculaire
et éphémère mais de prendre un espace pour habiter et vivre ensemble, créer
un espace de discussions et de rencontres qui puissent faire émerger des
solidarités concrètes face aux offensives des urbanistes.
Il est 20h30. Une soixantaine de personnes mangent et discutent entassés
dans le bar quand les flics donnent l’assaut. Ils explosent la vitrine alors
que des personnes se trouvent juste derrière. S’ensuit une course poursuite
dans l’immeuble. Les gens refluent dans les étages en érigeant des
barricades de fortune derrière eux pour ralentir l’avancée des gardes
mobiles. Ce qui s’est révélé relativement efficace. Tout le monde se
retranche au dernier étage et un petit groupe monte même sur le toit. Ce ne
sont pas spécialement les habitants du lieu et le tout n’est pas vraiment
prémédité. La cinquantaine de personnes restée au dernier étage se fait
finalement sortir de l’immeuble et séquestrer dans la rue qui est bloquée
mais les occupants du toit du globe demeurent.
Pendant ce temps, quelques personnes se regroupent dans la rue de la
république et hurlent « non aux expulsions ». Peu à peu, des passants les
rejoignent, le trafic est bloqué par un imposant dispositif policier : CRS,
gardes mobiles, BAC. Sur le toit comme dans la rue, personne ne cède aux
basses manœuvres des flics : chantage (« descendez du toit et on libère tout
le monde »), intimidations, pressions de la BAC... Une quarantaine de
personnes de la caravane du logement (regroupement d’associations pour le
droit au logement) débarquent. Les flics relâchent la cinquantaine de
personnes parquées. Et tout le monde se regroupe.
Tout au long de la nuit, pleins de gens restent, arrivent ou se relaient. Il
y a eu jusqu’à 150/200 personnes dans l’attroupement malgré le froid.
Au début, la situation est un peu flottante : la police est manifestement
dans l’indécision. On imagine que ça téléphone dans tous les sens. les
autorités se concertent.
Parallèlement, les occupants de la rue sont eux aussi dans l’expectative.
Une poubelle flambe, une voiture de flic est caillassée et rien ne se passe.
C’est l’attente.
A l’intérieur, les keufs tentent de mettre la pression aux occupants du toit
et saccagent le lieu. Une ribambelle de négociateurs se relaient pour les
faire descendre dont le commissaire divisionnaire et le sous-préfet mais
rien n’y fait. En bas, la caravane du logement apporte des boissons chaudes
et de la bouffe fort réconfortantes par ce temps de grand mistral. Des
couvertures, de la nourriture et un mégaphone sont discrètement fournis aux
occupants du toit, histoire que la détermination ne cède pas face aux
assauts de la fatigue et du vent. En bas, le groupe diminue mais l’ambiance
est bonne. La rue de la République n’a jamais été aussi vivante depuis des
années : chants et slogans qui se répondent entre en haut et en bas, partie
de foot, spectacles... Cela dure toute la nuit.
Au petit matin, 12 cars de CRS arrivent en renfort et le GIPN prend
position. Le préfet mal à l’aise sur le toit tente une ultime négociation.
En vain. Il ne peut rien faire pour les revendications des occupants, à
savoir :
l’abolition de la société de classes, de l’état et du capital
le relogement de tous les habitants de la rue de la République dans leurs
anciens logements refaits à neuf
ou à défaut le fait de garder la maison.
Pendant ce temps, des habitants du quartier (le peu qu’il reste) apportent
café et croissants. Finalement, sur les coups de 10h, le GIPN procède à
l’expulsion et les occupants sont placés en garde-à-vue au commissariat de
l’Evêché où se déplace, lui aussi, le petit groupe de gens encore présents
au pied de l’immeuble. La présence est continue jusqu’à 16h, heure de leur
libération, à priori sans poursuites. A cette occasion, s’est encore une
fois manifestée une solidarité concrète : des travailleuses de la maison de
retraite ramènent du café et des petits gâteaux, des anciens habitants ont
aussi été présents de longue.
Ce sont 24H aux cours desquelles quelque chose a été rompu et arraché à la
normalité : un rapport joyeux à la rue, une détermination à ne pas se laisser
intimider par l’occupation policière du territoire et tenter de faire vivre
ensemble nos désirs.
Le tout aura sans doute coûté très cher : l’important dispositif policier, le
tram bloqué pendant une douzaine d’heures, et la rue encore quelques heures
de plus.
Cela n’aura duré que quelques heures.
Vivement la prochaine fois.
On est pas fatigué, on est déterminé.
Ni flic, ni fric, ni expulsions
A la prochaine, pour notre meilleur et pour leur pire.
Rendez-vous pour un repas de quartier dimanche à 12H, rue Moisson.