Souheil aurait eu 22 ans

Intégralité du discours d’Issam El Khalfaoui, père de Souheil, tué par la police le 4 août 2021 à la Belle de Mai.

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Intégralité du discours d’Issam El Khalfaoui, père de Souheil, tué par la police le 4 août 2021 à la Belle de Mai.

. 25 avril 2024, devant le palais de justice de Marseille
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Souheil aurait eu 22 ans aujourd’hui..
Le 4 août 2021, mon fils Souheil a été tué d’une balle en plein cœur par un policier stagiaire lors d’un contrôle routier apparemment banal. Aujourd’hui, Souheil aurait eu 22 ans.
Le combat judiciaire pour découvrir la vérité a débuté il y a maintenant 995 jours. J’ai déjà dénoncé à maintes reprises les actions coordonnées de l’IGPN, du parquet de Marseille, de la police judiciaire et des syndicats de police, tentant de protéger le policier responsable de la mort de mon fils. Faux en écriture publique, disparition de pièces cruciales du dossier, faux témoignages, obstruction à la manifestation de la vérité : autant de stratagèmes employés par l’institution pour saboter l’enquête. Je suis, malheureusement, passé d’état de sidération en état de sidération tout au long de ce processus.
Je me suis constitué partie civile dès avril 2022, alors que le parquet tentait encore d’enterrer l’enquête. Un juge d’instruction a été nommé en novembre de cette année-là, chargé d’enquêter sur trois plaintes distinctes :
• Une plainte pour homicide volontaire contre le policier.
• Une plainte pour faux en écriture publique contre l’IGPN.
• Une plainte pour obstruction à la manifestation de la vérité, encore contre l’IGPN.
Le passage d’un magistrat du parquet à un magistrat du siège m’avait redonné espoir, un espoir très vite anéanti. En effet, lors de ma seule et unique rencontre avec le juge d’instruction, j’ai rapidement compris que ni Souheil ni sa famille n’étaient vraiment considérés comme des victimes. Alors que de nombreux témoins refusent de parler par peur de la police, c’est moi que le juge soupçonne de faire pression sur eux.

D’emblée, alors que j’avais déposé deux plaintes contre l’IGPN, il m’expliquait ne pas croire que l’institution puisse protéger des policiers. Le résultat, c’est que plus de 18 mois après sa nomination, presque rien n’a été fait concernant les plaintes contre l’IGPN. Alors que le bon sens devrait inciter ce juge à enquêter sur une succession invraisemblable de manquements de la part de l’IGPN ayant eu pour conséquence directe la disparition d’éléments déterminants dans le dossier, il choisit plutôt de nous débouter de nos droits en refusant quasi systématiquement toutes les demandes d’actes que nous avons formulées dans les trois dossiers.
Concernant plus particulièrement la plainte pour homicide volontaire, la première chose que je demandais au juge était d’interroger le plus rapidement possible les témoins déclarés du meurtre, car il s’était déjà écoulé plus d’un an sans qu’ils aient été entendus par un juge. Je lui ai signifié ma crainte de l’oubli et la nécessité de diligence. Là aussi, autant parler à un mur, le juge ne les a interrogés que plus d’un an après ce rendez-vous.
C’est comme si la douleur qui nous accable ne suffisait pas, il faut appuyer encore plus fort là où ça fait mal.
J’ai essayé de comprendre comment un juge d’instruction pouvait si cruellement manquer d’impartialité. Les difficultés rencontrées par les familles lors de quasiment toutes les instructions judiciaires dans les cas de violences policières sont troublantes.

Pourtant, en analysant froidement le fonctionnement de notre justice, l’explication devient évidente : le conflit d’intérêt. Qui réalise les enquêtes pour le juge d’instruction lorsqu’il décide de créer des commissions rogatoires ? Les policiers. Le succès de son travail repose en grande partie sur la qualité des enquêtes qu’il confie à la police, puisqu’il ne lui est matériellement possible de réaliser qu’une infime partie des investigations. Comment pourrait-il alors être impartial lorsqu’il s’agit d’enquêter sur des policiers ?
La pression exercée par cette police, dont l’esprit de corps balaye toute objectivité, est telle que la très grande majorité des juges d’instructions sont happés, consciemment ou inconsciemment, par une sorte de redevabilité vis-à-vis de l’institution policière. Comment réussir sa carrière lorsqu’on a la police à dos ? C’est impossible, et c’est le risque encouru par les juges qui restent impartiaux dans les cas de violences policières.
Le dépaysement pourrait très légèrement diminuer cette pression, du moins à court terme (la mobilité des juges et l’esprit de corps de la police empêchent tout de même que cela soit suffisant), pourtant il est quasiment systématiquement refusé.
Je pense que la seule solution viable pour que chaque victime de violence policière puisse vivre une procédure juste et équitable est le dépaysement systématique associé à une anonymisation des juges. Il faudrait qu’à chaque fois qu’une violence policière est signalée, et qu’une constitution de partie civile est demandée, les juges d’instruction soient désignés de manière aléatoire parmi un pool national de juges qualifiés pour garantir impartialité et compétence. L’identité des juges resterait anonyme vis-à-vis de tous les acteurs externes, y compris les forces de police, les victimes et les médias. Des procédures sécurisées telles que des vidéoconférences sans visages, le masquage de la voix et des signatures permettraient de garantir cette anonymisation.
Je demande encore une fois au gouvernement et à Emmanuel Macron de bien vouloir me recevoir sans se cacher derrière la séparation des pouvoirs, puisque ce n’est pas du cas de mon fils que je veux discuter, mais d’une modification du fonctionnement des institutions pour accorder à chaque citoyen la possibilité d’une enquête impartiale lorsqu’ils sont victimes de violence policière illégitime.
En attendant, je continue le combat pour que la vérité soit faite concernant le meurtre de mon fils. Je ne lâcherai rien, je me battrai jusqu’au bout, et je porterai plainte contre tous les menteurs qui protègent le meurtrier, même si c’est normalement le travail du juge de les inculper et pas le mien lorsqu’il en a la preuve.
Nous avons créé l’association STOP AUX VIOLENCES D’ETAT afin de lutter notamment contre les violences policières. Nous avons réussi à financer le projet "435-1 m’a tuée", que nous construisons depuis maintenant plus d’un an. Le démarrage du projet est imminent et permettra à tous les citoyens de comprendre l’injustice voire l’illégalité de cette loi dite permis de tuer prétexte à la légitimation du meurtre de mon fils. Et notre combat continue :les poursuites systématiques dans les cas de faux en écriture publique seront notre prochain cheval de bataille car ces derniers sont à l’origine même de la recrudescence des violences policières en consacrant le sentiment d’impunité des policiers.


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