Une route en construction à travers l’Amazonie aggrave la crise entre les mouvements indigènes et le pouvoir bolivien. Une marche sur La Paz a débuté lundi.
Pour la première fois de son histoire, la Bolivie est dirigée par un président d’origine indigène. Mais pour la deuxième fois depuis son accession au pouvoir, en janvier 2006, Evo Morales affronte la révolte des peuples autochtones de l’Amazonie et de l’Altiplano. Le 15 août, un millier d’indigènes ont entamé à Trinidad une longue marche de protestation de plusieurs semaines, qui doit les mener jusqu’à La Paz.
C’est que leur président, qui s’est proclamé grand défenseur mondial de la Pachamama, la Terre Mère, est en train d’asphalter 306 kilomètres au cœur de l’Amazonie(1). A terme, la route entre Villa Tunari et San Ignacio de Moxos, qui doit relier les départements de Cochabamba et Beni, mettra en péril les 1,1 million d’hectares du Territoire indigène et Parc national Isiboro Sécure, le TIPNIS.
Déforestation massive
Le Programme de recherches stratégiques bolivien (PIEB) a d’ailleurs tiré la sonnette d’alarme. Une étude démontre que la route causera en dix-huit ans la déforestation d’au moins 65% du territoire du TIPNIS. Paysans planteurs de feuilles de coca et trafiquants de bois détruiraient au moins 60 kilomètres de forêt sur chaque côté de la route et sur toute sa longueur, craint le PIEB.
Le TIPNIS, parc national depuis 1965, est un des plus riches en biodiversité du continent sud-américain et c’est aussi la « Grande maison » pour 64 communautés appartenant aux ethnies yuracaré, mojeño et chiman. Ces dernières ont officiellement reçu leur titre de propriété communautaire sur ce territoire ancestral il y a tout juste deux ans, des mains... d’Evo Morales !
Constitution ignorée
Et c’est le même Evo Morales qui a inauguré, le 3 juin, le chantier, alors qu’aucune étude d’impact environnemental n’a été réalisée sur le deuxième des trois tronçons de la route, qui touchera le cœur même du TIPNIS, et que les habitants n’ont jamais été consultés sur ce projet.
Ces entorses à la Constitution bolivienne et à la loi sur l’environnement n’émeuvent pas le gouvernement, qui a fait de cette route une « priorité nationale » et qui entend achever l’ouvrage avant 2014, « que les indigènes le veuillent ou non », comme l’a déclaré le président.
« La liaison entre Cochabamba et le Beni prend trois jours et il faut actuellement parcourir plus de 900 kilomètres de piste. Bientôt, ce ne sera plus que quelques heures et 300 kilomètres. Cette route est donc une nécessité vitale de communication entre deux populations d’un même pays. Pour un paysan qui produit des aliments, pour le commerçant, pour l’indigène, raccourcir les distances de 100, 200 ou 500 kilomètres c’est un énorme gain de temps, d’efforts et d’argent. Et pour notre gouvernement révolutionnaire, c’est une priorité absolue, qui permet aussi d’offrir les services de base à des populations trop longtemps oubliées », écrit pour sa part le vice-président Alvaro García Linera, dans un pamphlet publié pour faire taire les critiques.
Pas de dialogue
Face aux reproches du gouvernement, qui accuse les indigènes de refuser tout dialogue, Rafael Quispe s’appuie sur la Constitution réplique sèchement : « Le droit à la consultation préalable des peuples autochtones ne se négocie pas, il s’applique », tranche le mallku de la CONAMAQ, la confédération des peuples autochtones de l’Altiplano.
« Le gouvernement veut négocier, alors que le chantier de la route est déjà en cours et que le président nous dit qu’elle sera de toute façon construite. Comment voulez-vous dialoguer dans ces conditions », s’interroge pour sa part Adolfo Moye, ancien président des peuples autochtones du TIPNIS.
Dans les faits, et sans route asphaltée, 20% du TIPNIS a déjà été illégalement envahi, principalement par les cocaleros, les planteurs de feuilles de coca. Pour l’ancien vice-ministre des terres Alejandro Almaraz, c’est une des menaces majeures que fait courir le projet actuel au territoire du TIPNIS : « La route provoquera une augmentation incontrôlée des plantations de coca illégales et du trafic de drogue et de bois.
Indigènes vs cocaleros
Pour Andrés Gomez, les intérêts des planteurs de coca – auxquels Evo Morales a promis la construction de la route lors de la campagne électorale de 2009 – priment désormais : « L’origine ethnique d’Evo Morales est aymara, mais son ADN est celle d’un planteur de coca, soit un ADN libéral, partisan du développement capitaliste. »
Lutte pour la terre
Derrière cette différence d’approche se cache aussi la lutte pour la terre. « Sur l’Altiplano, certains paysans n’ont même pas un hectare à cultiver », rappelle le directeur de la Fondation Tierra, Gonzalo Colque. Cela se traduit par une forte migration, une extension de la frontière agricole vers l’Amazonie, considérées comme la nouvelle « Terre promise ». Avec d’inévitables affrontements entre les indigènes vivant sur leurs territoires ancestraux et les paysans colonisateurs en quête qu’un meilleur futur.
Bernard Perrin
Source : lecourrier.ch