Chili : Tour d’horizon après le désastre

Francisco Herreros a effectué un reportage dans toute la zone dévastée par le tremblement de terre et le tsunami qui a suivi. L’écho qu’il en fait est loin des images véhiculées par les médias traditionnels, il estime que les chiliens ne peuvent encore mesurer l’effet que cette catastrophe a eu sur leur société, par contre il a pu prendre la mesure de l’inaptitude du nouveau président Sebastián Piñera à gérer la crise, de la mauvaise qualité des gestions privées et du désarroi des populations locales.

Seule l’organisation qui sera capable de remettre en avant une citoyenneté qui a déjà souffert de 30 ans de néolibéralisme rampant pourra éviter que l’actuelle catastrophe ne devienne un nouveau prétexte pour un gain capitaliste, et un nouveau facteur d’oppression et de détérioration des conditions de vie des populations frappées par la tragédie.

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Francisco Herreros a effectué un reportage dans toute la zone dévastée par le tremblement de terre et le tsunami qui a suivi. L’écho qu’il en fait est loin des images véhiculées par les médias traditionnels, il estime que les chiliens ne peuvent encore mesurer l’effet que cette catastrophe a eu sur leur société, par contre il a pu prendre la mesure de l’inaptitude du nouveau président Sebastián Piñera à gérer la crise, de la mauvaise qualité des gestions privées et du désarroi des populations locales.

Seule l’organisation qui sera capable de remettre en avant une citoyenneté qui a déjà souffert de 30 ans de néolibéralisme rampant pourra éviter que l’actuelle catastrophe ne devienne un nouveau prétexte pour un gain capitaliste, et un nouveau facteur d’oppression et de détérioration des conditions de vie des populations frappées par la tragédie.

L’incroyable désastre sur le port de Talcahuano. (Photo : EFE)

TeleSUR _ 14/03/2010 Après un parcours de cinq jours, et presque deux mille kilomètres, à travers des lieux dévastés par l’une des plus grandes catastrophes dans l’histoire du pays, notre première conclusion montre que la situation est plus grave et dramatique que ce que les Chiliens imaginent, et que ce que les médias ont donné à voir.

Cela conduit à la seconde conclusion, relative au processus de reconstruction qui se mesurera nécessairement en années. Il n’est pas rare que de grandes catastrophes naturelles conditionnent les stratégies de développement et même les processus politiques des pays où elles éclatent.

Le tremblement de terre qui a détruit Chillán en 1939, a entraîné la mise en place de la Corporation de Promotion et de Reconstruction (CORFO), institution étatique qui a conduit le processus d’industrialisation du pays jusqu’en 1975, quand la dictature l’a transformée en agent de la privatisation du patrimoine public.

En 1972, le tremblement de terre de Managua a marqué le commencement de la fin du régime d’Anastasio Somoza, au Nicaragua. L’incompétence notoire du gouvernement de Miguel de la Madrid dans le traitement du tremblement de terre de Mexico en 1985, a été l’un des facteurs qui a érodé l’aura d’intangibilité du Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI), et qui a fini par son éviction en 2000.

Le tremblement de terre du 27 février 2010 au niveau des régions du Maule et de Bío-Bío est arrivé à la veille de l’intronisation d’un gouvernement de droite, qui disposera virtuellement de la totalité du pouvoir. Avec lequel il voit probablement une possibilité d’aller plus loin dans un modèle économique néolibéral. Modèle qui, selon notre opinion, est la première cause de l’incapacité dont l’État chilien a fait preuve dans la gestion dans cette crise de grande ampleur.

En conséquence, et comme troisième conclusion, seule l’organisation qui sera capable de remettre en avant une citoyenneté qui a déjà souffert de 30 ans de néolibéralisme rampant pourra éviter que l’actuelle catastrophe ne devienne un nouveau prétexte pour un gain capitaliste, et un nouveau facteur d’oppression et de détérioration des conditions de vie des populations frappées par la tragédie.

Talca et l’autoroute Sud n°5

La magnitude du séisme se mesure rapidement, dans le degré de destruction du centre historique de la ville de Talca, qui six jours après le tremblement de terre, restait virtuellement paralysée. Des commerces fermés, des malades dans la rue et un hôpital de campagne en face de la façade élégante du nouvel hôpital, qui en fait cache des dommages structuraux importants, sont des images violentes. La distribution de denrées de première nécessité avait seulement commencé la veille, mercredi 3 mars, et de grandes parties de la ville restaient sans électricité ni eau potable. Bien que les compagnies aient annoncé dans la presse locale un haut taux de rétablissement des services. Ce ne sera ni la première ni la dernière fois que nous vérifierons la distance intermédiaire entre le discours et la réalité, dans le contexte de cette tragédie.

Les dommages sur la route Sud N°5 se concentrent sur le tronçon entre Curicó et Chillán, dont la concession appartient à l’Association Cintra, présidée par Herman Chadwick Piñera, cousin du nouveau Président de la République et président de l’Association des Concessionnaires des Oeuvres d’Infrastructure Publique (COPSA). En dehors d’un pont détruit et de deux sévèrement endommagés sur l’autoroute Talca-Chillán, les énormes fissures de la route montrent la précarité de sa construction : un piètre travail de stabilisation du terrain pour supporter une mince couche de bitume. Au point que le concept de route jetable vienne à l’esprit. Bien que les clauses des contrats des concessions restent rigoureusement secrètes, il est hautement probable que l’on puisse établir une corrélation entre le temps de concession et la qualité de la construction. Pour un temps plus court on obtient une construction plus précaire masquée sous les clôtures élégantes, la signalétique moderne et les gares de péage. Et personne ne peut en appeler à la tromperie : l’objectif des concessionnaires privés n’est pas la connectivité du Chili, mais la rentabilité de leur investissement, et plus le temps est court plus la rentabilité doit être forte.

Privatisation de la solidarité

La route L-30-M qui connecte San Javier avec Constitución n’est pas une concession. C’est pourquoi, elle a été construite par le Ministère des Travaux publics conformément à la réglementation antisismique. Et en effet, à magnitude tellurique égale, elle présente des dommages incommensurablement plus légers que l’emblématique route Sud N°5.

Ce qui attire l’attention sur ce trajet c’est la quantité d’autos particulières décorées avec des drapeaux chiliens, qui signalent qu’elles transportent de l’aide, et à mesure que l’on approche Constitución, la quantité de familles installées au bord du chemin, qui á côté du drapeau connu, arborent grossières affiches manuscrites, où ils proclament leurs besoins : de l’eau, du pain, du lait et des langes. C’est la privatisation de la solidarité. Ces familles ne s’organisent pas pour aller chercher une aide canalisée par une institution de l’État. Simplement, ils sont établis à attendre des dons de particuliers, qui n’agissent pas non plus de manière organisée ou planifiée. De cette façon, sans plan, ni information ni conduite, le résultat ne peux pas être autre qu’une distribution chaotique, qui accentue la sensation de désordre et de confusion, au point que les sinistrés eux-mêmes refusent les vêtements dont ils n’ont pas besoin. Mais dans Constitución, à la différence d’autres villes touchées, un certain niveau d’organisation est visible. Précaire, mais il existe.

Les yeux rougis du maire, Hugo Tillería et du Conseiller Carlos Zúñiga, prouvent une infatigable activité. De plus, la Présidente Bachelet a laissé dans la ville une déléguée personnelle, Laura Albornoz, ex-Ministre du Sernam. Au moment de notre passage, des lourds engins travaillaient au nettoyage des décombres du secteur côtier de La Mare totalement dévasté par le tsunami, tandis que le maire et le conseiller étaient réunis avec les organisations de pêcheurs locaux pour analyser la possibilité de construire un embarcadère provisoire qui permettait de relancer l’activité. Ce dernier a été mis en place quelques jours après. N’importe qui visitant à ce moment là la belle ville de Constitución aura nécessairement l’impression que la reprise de la vie normale prendra des mois et la reconstruction, probablement des années.

L’Apocalypse maintenant

L’autoroute d’Itata de 75 kilomètres, qui relie Chillán avec Concepción est une concession, et pour la même intensité sismique, présente elle aussi un niveau de dommages bien inférieur à la route Sud N°5. Notre soupçon se confirme. Tandis que la route Talca-Chillán a une durée de concession de 19 ans, celui de l’autoroute d’Itata en a 28 ans. Et qui est connu, le revers de son autoroute n’est pas sorti à monsieur Chadwick Piñera ni par soigné. Et à ce que l’on sache, la destruction de l’autoroute de Mr Chadwick Piñera ne l’a pas fait réagir, ni bouger pour la réparer.

Nous arrivons à Concepción une semaine après le tremblement de terre, mais par son aspect, il semblait qu’il soit arrivé la veille. Les décombres jonchent les rues et les câbles d’électricité restent tombés au sol. La ville est toujours sans électricité et eau potable. Le passage vers San Pedro, et par conséquent vers Lota, Coronel et la province d’Arauco, par le pont Llacolén qui bien mal résisté au séisme, n’a pas encore été réparé. L’édifice Vista Río, emblématique par son degré de destruction, n’est pas une exception. Au centre de la ville il y au moins vingt grands édifices, tous nouveaux et certains même encore en cours de construction, qui devront être démolis. S’il y a une ville où les entreprises de construction ont fait un travail rempli d’irrégularités, c’est Concepción. En fait, Juan Ignacio Ortigosa Ampuero, président de la Socovil, compagnie ayant construit l’édifice Alto Río, était aussi président régional de la Chambre Chilienne de Construction, dont le président national, Lorenzo Constans, est inscrit dans le livre Guiness des maladresses : "il y a des édifices inclinés qui sont encore en état, le plus flagrant exemple est la tour de Pise, qui est debout depuis des siècles". Il est incroyable de penser que le Chili est entre les mains de ce genre de bricoleurs.

L’armée en temps de paix

Durant la nuit, et malgré le couvre-feu, la ville se couvre de la fumée des barricades, dont l’éclat illumine de manière fantasmagorique les équipes de surveillance citoyenne déployées aux carrefours, organisées entre voisins pour se défendre des bandes de vandales plus imaginaires que réelles,
et au final c’était ces mêmes équipes qui ont pillé durant les 48 heures de fureur et de terreur du dernier week-end de février.

Et s’il y a une ville où ne voit pas le moindre vestige de leadership et d’organisation officielle, c’est aussi Concepción. Dans la pratique, l’unique rôle joué par sa maire, Jacqueline van Risselberghe, et c’est peut-être pour cela qu’elle a été promue Intendante, a été réduit à polémiquer avec le gouvernement à cause du déploiement tardif de l’armée.

Cette même remarque peut à la rigueur être compréhensible venant de Lota et de Curanilahue, où les mouvements de violence sociale ont été extrêmes et terrifiants pour des habitants déjà choqués par l’amplitude du tremblement de terre.

Personne ne s’inquiète de la présence de l’armée dans les bureaux de vote durant les différents processus électoraux, parce que pour plusieurs raisons il est entendu que c’est l’une de ses tâches en temps de paix. De même, le maintient de l’ordre public dans des situations d’urgence devrait être une des fonctions de l’armée en temps de paix qui est une institution de l’État, financée par des fonds publics.

Certes, à mesure que les Forces Armées sont subordonnées au pouvoir politique pas seulement pour protéger le droit de la propriété, mais aussi et principalement, pour garantir l’approvisionnement en vivres à l’ensemble de la population.

Si la Présidente les avait, en sa qualité de Chef de l’État, mobilisées dès le début, peut-être que la polémique n’aurait pas vu le jour. Mais il est également possible qu’elle ait eu une information qui l’a empêchée de le faire.

Le fait est que les commandants en chef de deux branches de l’armée, trompés par la nature séditieuse du quotidien El Mercurio, ont eu une conduite provocante inacceptable, à tel point qu’elle a même été relevée par un chroniqueur de la droite libérale, comme Carlos Peña, dans les pages même de El Mercurio : "Où a-t-on vu que les généraux et les amiraux accusent l’autorité civile, relativisent les responsabilités par voie de presse, et parlent de ce qu’ils devraient faire ou arrêter de faire. La confrontation entre la Présidente et les chefs militaires - qui revient à ce qu’ils dérogent ouvertement à leurs devoirs - est simplement inacceptable et ne doit pas être toléré. Personne ne doute de l’importance des Forces Armées - encore moins en des occasions comme celles-ci - mais rien ne doit faire oublier que, dans ces moments comme dans d’autres, elles doivent être subordonnées au pouvoir civil et ses chefs maintenir une bonne conduite".

En plus de cela. Jusqu’à présent le président Sebastián Piñera, a consacré ses plus grands efforts à soutenir une concurrence médiatique puérile avec la présidente Bachelet, à savoir qui affrontait la crise avec la plus grande efficacité et à débiter, urbi et orbe, un discours aussi irresponsable que démagogique, qui pour être réel supposerait que tous les problèmes soient résolus le 12 mars.
Mais comme les discours sont une chose et les faits une autre, il s’est retrouvé obligé de solliciter le maintient dans leurs charges des gouverneurs et des intendants du gouvernement sortant.

Dévastation et désolation

Notre étape suivante a été l’incroyable dévastation du port de Talcahuano, où nous avons dû affronter l’autoritarisme puérile d’une recrue de la marine, qui par chance n’a pas été plus loin grâce à l’apparition providentielle d’un sous-officier. Lorsque nous écrivons ces lignes nous venons d’apprendre la mort de David Riquelme Ruiz, habitant de Hualpén, tué par une patrouille de l’infanterie de marine. La force du tsunami reste visible avec la présence insolite de bateaux de fort tonnage échoués dans les rues et sur les digues.

La nécessité d’un sauf-conduit, et la mise ne place d’un couvre-feu, nous a dispensé de faire la queue, qui peut durer jusqu’à cinq heures, pour traverser le pont Llacolén. Dans Lota, on a l’impression que le temps s’est arrêté. Pas seulement à cause du degré de destruction des logements, mais par l’angoisse qui se dessinait sur le visage des gens. C’est qu’une semaine après la tragédie, l’aide n’arrivait presque pas, la ville restait presque complètement paralysée, et la fourniture en eau, en électricité et même les réseaux de communication n’étaient pas revenus à la normale. Le réseau de distribution et d’approvisionnement était totalement bouleversé. Ainsi il était possible de trouver un ordinateur portable à 40 000 pesos (environ 55 €), tandis qu’un paquet de cigarettes, de loin le bien le plus précieux en ces jours funestes, pouvait en coûter 5000 (environ 6 €). Au milieu de ce panorama désolant, l’unique note encourageante était l’existence de cantines populaires installées par des assemblées de voisins et d’autres organisations populaires.

Des images indélébiles

Bien que dans une mesure proportionnelle à sa population, la situation fût équivalente à Arauco, Curanilahue et Los Alamos. Manque d’approvisionnement en eau, en électricité et un sentiment d’abandon de la population. Et un détail peut-être prémonitoire. Pendant notre séjour dans les localités les plus éloignées de la province d’Arauco nous ne trouvons pas une seule équipe de presse, signe que le sujet commence à perdre de l’intérêt pour les médias, prélude du silence que le processus de reconstruction entraînera sûrement. Des situations de localités lointaines n’ont même pas été transmises par les médias.

Encore une raison pour stimuler la mise en place d’organisations populaires, unique mécanisme qui peut contrer à ce niveau un nouveau tour de vis contre le Chili populaire, celui qui au lieu de voir la tragédie à travers la télévision la ressent dans sa propre chair.

Deux images pour finir un récit manifestement incapable de décrire l’expérience terrifiante dont ont souffert les compatriotes des régions du Maule et du Bío-Bío.

Malgré les matériaux de construction des maisons majoritairement en bois, et le niveau d’organisation - un comité d’urgence, qui selon nos rapports a raisonnablement bien fonctionné - la ville de Lebu a été celle qui a le mieux résisté au tremblement de terre dans la province d’Arauco. Il est surprenant à l’arrivée de voir qu’une proportion importante de la population reste cantonnée dans les collines environnants. Selon l’opinion que nous avons pu nous faire, cela est dû au dessèchement de l’embouchure de la rivière, ce qui incite beaucoup de gens à croire que le tsunami n’est pas encore fini. Et en deuxième lieu, au sermon de certains pasteurs évangélistes qui annoncent l’imminence de la fin des temps.

La deuxième, est la saisissante image que présente la station balnéaire de Dichato autrefois charmante et paisible, située près de Talcahuano endroit le plus sinistré par le tsunami. Et cela a une explication. Au centre de la baie de Concepción, l’emplacement de l’île Quiriquina crée une gigantesque turbulence aquatique, qui a dévié la force irrésistible du tsunami sur Talcahuano, rasant un centre institutionnel et se jetant sur une population prise au dépourvu qui profitait de l’avant-dernier jour de la saison d’été. Peut-être ne connaîtra-t-on jamais le nombre de personnes qui sont mortes à Dichato.

Francisco Herreros

Source : TeleSur "Un monstruo grande que pisó fuerte"
Traduction : Primitivi


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