Le 11 mai 2012 quatre personnes ont été assassinées et sept ont été blessées par des tirs de mitrailleuse M60. Les balles mortelles ont été tirées depuis, au moins l’un, des quatre hélicoptères de la DEA appartenant aux États-Unis qui survolaient le Río Patuca et une communauté de villageois habitée par des gens vivant dans des conditions de pauvreté extrême. Ceci n’est pas arrivé en Afghanistan ou en Irak mais au Honduras.
TEGUCIGALPA 01/06/2012
“Seuls les agents de la DEA peuvent tirer avec les M60 (mitrailleuse) depuis un hélicoptère”.
C’est ce qu’a déclaré un agent de la police antinarcotique du Ministère Public hondurien dont nous avons recueilli le témoignage en lui promettant de conserver son anonymat. C’est l’un de 70 agents du ministère public hondurien missionnés dans le combat contre le trafic de stupéfiants. Il possède une expérience d’opérativité sur toute la côte Caraïbe, ainsi que dans la région même où s’est déroulé le massacre du 11 mai dernier.
Il était 3h du matin à l’aube du 11 mai sur le Río Patuca vers la communauté de Paptalaya, municipalité d’Ahuas, département Gracias a Dios, frontalier avec le Nicaragua, quand l’embarcation qui était en train de naviguer sur le fleuve a essuyé des rafales tirées depuis des hélicoptères militaires. Les cibles que les militaires ont visées avec leurs mitrailleuses étaient des civils.
– Nous ne pouvons pas commenter cette affaire avant que ne se termine l’enquête, a déclaré Steve Posivak, Conseiller pour la Culture et la Presse de l’ambassade américaine de Tegucigalpa, en réponse à nos interrogations à propos du massacre.
– Peut-on savoir combien d’hélicoptères ont participé à cette opération ?
– Je ne sais pas exactement. Notre politique est de ne pas faire de commentaires avant d’avoir tous les éclaircissements de l’enquête.
– Peut-on dire de quelle nationalité étaient les hélicoptères ?
– Oui, ce sont des hélicoptères des États-Unis. Je ne sais pas exactement combien.
– Avez-vous les chiffres qui indiquent combien d’unités d’agents de la DEA, d’officiers de police ou de militaires honduriens étaient impliquées dans cette opération, s’il y avait aussi des mercenaires, et dans ce cas, de quelle nationalité ?
– Nous ne partageons pas d’information opérationnelle sur cet incident. Vous pouvez demander des informations au Ministre de la Sécurité hondurien, parce que c’était une opération organisée par la police hondurienne.
– Le chef des Forces Armées honduriennes a déclaré qu’aucun militaire hondurien n’a tiré.
– Je ne peux pas commenter ce que les honduriens font ou ne font pas. C’est mieux de demander directement aux autorités honduriennes. Mais je peux confirmer qu’aucun agent de la DEA n’a tiré durant cet incident.
– Mais cela vous pouvez effectivement le confirmer ?
– Oui, mais oui je peux le dire. Le porte-parole de la DEA et du Département de l’État, tout deux, ont dit cela “off the record” (c’était le protocole). Le chancelier (hondurien) Corrales (Arturo) a confirmé qu’aucun agent de la DEA n’avait tiré pendant l’incident.
– Mais il était à Washington à ce moment là...
– Eh bien, oui, mais... c’est ce qu’il a dit, affirme le diplomate avec un sourire nerveux.
Nous lui demandons aussi s’il a connaissance du contenu des enregistrements, tant visuels que sonores que possède chaque appareil de la DEA afin d’enregistrer chaque mouvement, ordre et résultat de l’opération réalisée avec ces appareils. Quand le contenu de ces enregistrements sera connu il sera très facile d’affirmer qui ont été ceux qui ont tirés sur les civils de l’embarcation du Río Patuca. L’obscurité n’étant pas un obstacle puisqu’ils sont équipés pour la vision nocturne infrarouge. Mais le diplomate Posivak nous déclare qu’il ne possède pas d’information sur les enregistrements.
Notre source au Ministère Public nous explique et éclaircit en quoi consiste l’ensemble des opérations avec la DEA :
– Les officiers de police de la Préventive ne sont pas des militaires mais des unités des force spéciale des Commandos Cobras du Honduras. Durant ces opérations voyagent également un commissaire et un procureur dans l’hélicoptère, qui est un BlackHawk blindé. Les membres Cobras ne peuvent rien faire en l’air, ils sont comme des passagers sans plus. Seuls les agents de la DEA sont autorisés à tirer avec les M60 depuis l’hélicoptère. De plus, cet hélicoptère est pratiquement scellé c’est-à-dire fermé. Les Cobras honduriens peuvent agir seulement quand ils atterrissent et mettent pieds à terre armés de fusils de haut calibre, raconte l’agent de la police antinarcotique.
C’est-à-dire qu’aucun hondurien n’a d’autorité pour tirer depuis un appareil de guerre américain, ce dernier est équipé d’une vision nocturne, ce qui explique l’incroyable précision des tireurs qui ont agi cette nuit là. On a relevé sur plusieurs victimes des impacts au milieu de la tête. Les militaires ont pu facilement distinguer leurs cibles civiles au milieu de la rivière, ce qu’il leur a permis de tuer quatre habitants de la zone.
Les victimes du Río Patuca sont Juana Jackson et Candelaria Pratt Nelson, toutes deux enceintes de respectivement 6 et 5 mois ; Hasked Brooks Wood, adolescent de 14 ans et Emerson Martínez Henríquez jeune homme de 21 ans. Tous sont tombés sous des balles mesurant, chacune, presque dix centimètres.
Beaucoup de gens qui n’ont pas connaissance de la vie dans une région comme l’Ahuas, l’une de sept municipalités du département de Gracias a Dios, se demanderaient : Qu’est-ce que ces gens faisaient à 3 heures du matin dans une embarcation navigant ainsi sur la rivière ?
Cela ne semble-t-il pas un peu suspect dans une région qui est considérée comme l’un des foyers du trafic de stupéfiants au Honduras ? Le président Porfirio Lobo lui-même a posé cette question de manière sarcastique le vendredi 1er juin dernier, on regrette qu’il ne se soit pas mieux informé, d’autant plus que trois semaines s’étaient passées depuis le massacre.
Les gens s’étaient embarqué à 8 heures du soir depuis leur village, afin d’éviter le soleil brûlant pendant le long voyage et d’arriver à l’aube à la municipalité d’Ahuas. De plus c’étaient des femmes enceintes qui voyageaient pour se faire faire un contrôle de grossesse.
La COFADEH (le Comité de Parents de Détenus et Disparus du Honduras), présent dans la région durant une semaine, s’est exprimé avec indignation durant une conférence de presse :
“Nonobstant que Porfirio Lobo Fade, actuel président, n’a pas donné de rapport officiel de ce qui s’est passé le 11 mai. Il a au contraire montré toute son ignorance des faits lors une conférence de presse, donnée vendredi 1er juin au palais Présidentielle, et il s’est permis d’ironiser en faisant des commentaires discriminatoires contre la population indigène Misquita.
Lobo ne met pas seulement en doute ce qui s’est passé et l’issue fatale, mais insinue également de manière irresponsable que les habitants attaqués étaient des narcotrafiquants. Tout part de la nécessité de naviguer sur le Río Patuca à des heures matinales, alors que cette zone manque de transports publics, de ponts et de routes et que les habitants voyagent comme ils peuvent dans un territoire abandonné par l’État”
Effectivement, c’est l’une des nombreuses régions abandonnées de l’état qui n’a même pas installé l’électricité dans la région. La mairie d’Ahuas possède un groupe électrogène qui permet de générer de l’électricité environ quatre heures par jour. Cependant, poussé par l’attention éveillé par plusieurs médias nord-américains sont venus sur les lieux après le massacre, le chef de gouvernement est venu sur zone pour distribuer des “bons de 10.000 lempiras” (à peu près 520 $). Un don politisé, mis en scène et offert aux médias présents qui a été refusé par beaucoup de familles bouillants d’indignation et de douleur face à des pertes humaines sans prix.
Le cauchemar n’est pas fini pour les 16 familles et tout le reste de la population de la zone, la COFADEH a affirmé dans un nouveau communiqué que la municipalité d’Ahuas était maintenant militarisée, avec pour conséquence l’intimidation de la population et des familles des victimes. Le racisme et la discrimination ne s’applique pas qu’aux victimes du 11 mai, mais s’inscrit dans le rejet des peuples autochtones par l’état, niant leurs droits et créant ainsi une exclusion sociale durable.
Les sept personnes blessées ont a subir l’absence de ressources économiques qui leur permettrait d’être soigné dans les hôpitaux publics sur la côte nord.
La COFADEH indique :
“L’indifférence ou la lâcheté des autorités de l’état à se confronter aux conséquences de leurs actes illégaux a fait que les personnes blessées n’ont jusqu’à présent pas reçu l’attention médicale adéquate et les proches des victimes sont criminalisés afin d’empêcher qu’ils ne portent plainte”.
Au milieu de la soi-disant “guerre contre le trafic de stupéfiants”, les principales victimes sont les habitants indigènes Misquitos, et parmi ceux-ci, les enfants et les femmes ; le principal responsable de ces faits très graves c’est l’État, ajoute l’organisation humanitaire.
Les interventions de la DEA, de la CIAO, du FBI et Commandement Sud sont connus au Honduras, du moins dans les protocoles. Depuis le coup d’état du 28 juin 2009 ces organismes nord-américains sont plus présents que jamais. Depuis juin 2010 c’est-à-dire un an après le coup d’état trois bases militaires supplémentaires ont été construites sous l’auspice du Commandement Sud, le Honduras compte maintenant six bases militaires US sur son sol.
La Mosquitia, dans cette zone abandonnée de l’état hondurien, fut dans les années 80 le berceau de l’invasion "Contra" contre le Nicaragua Sandiniste. Dans la base militaire du Pentagone implantée dans la région, les 800 bérets verts en poste ont entraîné les assassins "Contra". Depuis la Mosquitia ils lançaient leurs coups de filet terroristes sur le territoire nicaraguayen tenu par le Front Sandiniste de Libération Nationale, le FSLN.
Depuis le territoire hondurien des transmissions de propagande radiophonique étaient faites vers les indigènes Miskitos, Sumos et Ramas du Nicaragua, qui les avertissait que si on laissait la responsabilité des campagnes de vaccination contre la polio aux médecins sandinistes ou cubains, les enfants vaccinés mourraient ou deviendraient communiste et dans les pires cas seraient envoyés en Union Soviétique. Ce sont ces campagne anticommunistes que les conseillers nord-américains ont apprises aux contras “Faire face au Communisme International”, profitant de l’abandon et de l’ignorance des populations locales. Comme ils l’ont fait à Cuba dans “l’Opération Peter Pan” avec l’appui de l’église.
Derrière la guerre Made In USA se cachent les plus grands intérêts étrangers. Selon une investigation réalisée par des experts russes en 2009 il y a dans les eaux territoriales honduriennes de la Mosquitia de grandes réserves de pétrole. Cette investigation a été citée en exemple par le Centre de Documentation du Honduras (CEDOH), dirigé par Víctor Meza, Ministre du Gouvernement durant le gouvernement de Manuel Zelaya (renversé par le coup d’état). Bárbara Almendarez, une chroniqueuse hondurienne anticommuniste et pro-putschiste, a cité l’enquête dans la revue digitale La Jornada du 15 juillet 2009 c’est-à-dire seulement 17 jours après le putsch, sous le titre “Pourquoi le Honduras est-il maintenant si important pour l’ALBA. Une opinion envoyée depuis le Honduras”.
“Les experts russes ont indiqué que l’existence de pétrole de ce gisement peut-être estimée à 3 milliards de tonnes et cela veut dire que 7 000 tonnes peuvent être extraites par an”. (Une tonne métrique est équivalente à 6.6 ou 8.40 barils, selon la qualité de ce dernier).
La réserve totale de pétrole comparée aux autres pays producteurs placerait l’Honduras à la onzième place au niveau mondial. Le Venezuela a 77 milliards de barils, les États-Unis 21 milliards et le Honduras, selon ce calcul, 24 milliards de barils. Il est intéressant de voir qu’à ce moment là les réserves du Venezuela ajoutées à celles du Honduras font plus que celles des Émirats Arabes Unis et 1/3 de celles de l’Arabie Saoudite, souligne la chroniqueuse.
“On mentionne qu’il existe quatre entreprises se battant pour les droits d’exploitation du pétrole hondurien et sont : Chevron, Petrobras, Pemex et devinez qui ? PDVSA, la fameuse entreprise propriété d’Hugo Chavez, annonce faite le 30 mars 2009. Dans son article suivant elle mentionne que l’entreprise de l’ALBA dénommée Energía, Gas y Petróleo effectuera les études correspondantes et développera un plan de production et de commercialisation”.
Ce sont les écrits de Madame Bárbara Almendarez. L’article abordant l’accord entre l’état du Honduras et l’entreprise énergétique de l’ALBA est paru le 26 Août 2008, le jour où le Honduras s’est affilié à l’ALBA.
Le même jour a débutée la conspiration pour mettre en place le coup d’État qui s’est déroulé dix mois plus tard. Zelaya lui-même a dit que les transnationales pétrolières, qu’ils ont tenu la seconde nation la plus pauvre du continent américain dans leurs griffes, ne pouvaient pas permettre que le Honduras prît des décisions souveraines sur l’avenir de ses ressources naturelles. Chevron, Texaco et un conglomérat de groupes pétroliers mondiaux sont de nouveaux au Honduras. Et leurs regards sont dirigés vers la Mosquitia.
Par Dick et Mirian Emanuelsson
Vidéo (52mn) de la conférence de presse à la Cofadeh, la même vidéo en HQ.
Le rapport de la COFADEH (15 p.) sur sribd
Source : blog de Dick Emanuelson