Emmanuel Broto, opérateur du film "une amitié" mais aussi de Primitivi, organise cette journée d’échanges autour du Cinéma Direct :
"Nous avons exploré un procédé narratif qu’on peut relier directement au mouvement du cinéma direct des années 60 et qui provoque le fait que la narration du film documentaire se rapproche de la fiction. C’est-à-dire que nous racontons l’histoire de nos personnages en prise avec leur vie, pas en train de la commenter eux-mêmes ou par un narrateur omniscient. Nous avons découvert une complémentarité particulière dans notre équipe notamment entre le travail de la réalisatrice et celui de l’opérateur et évidemment les personnages filmés. L’opérateur du son et la monteuse ont aussi leur part évidemment dans le processus.
Nous centrerons l’attention plus spécialement, durant cette journée, sur le lien entre la réalisatrice et l’opérateur, qui est au cœur de la fabrication de l’image et qui concentre la spécificité du cinéma direct.
Le cinéma direct a accompagné l’immense mouvement d’émancipation des années 60 principalement aux États-Unis, au Canada et en France.
Il est dans son essence une forme filmique particulière mais aussi un engagement politique. Le fond et la forme se rejoignent ici. Nous en avons compris les raisons car le positionnement de l’équipe avec ses personnages dans le cinéma direct implique préalablement une vision particulière de sa place dans le monde, de son rôle, et donc de son rapport aux personnages filmés. Sans cela, il n’est humainement pas vraiment possible de faire du cinéma direct tel qu’on va le présenter ici.
Avec Michèle, nous avons constaté la perte progressive de la culture du cinéma direct, à la télévision, chez les producteurs, et dans la société de manière plus générale, même si le cinéma direct a eu des répercussions évidentes sur la fabrication d’images dans le monde entier, et ce malgré la large diffusion du matériel de prises de vue numérique qui rend accessible la prise de vue à beaucoup plus de gens que le 16 mm dans les années 60.
C’est à la suite de cette constatation que l’idée a progressivement germé de proposer une présentation de notre travail et du cinéma direct, et d’une certaine théorisation de ce travail pour pouvoir le transmettre dans une volonté de résistance à l’hégémonie d’une forme qu’on peut appeler monoforme, comme Watkins aime la définir.
Il me paraît intéressant que cette présentation puisse se faire à Primitivi dans la droite ligne de l’esprit du DSML, et inspirer ceux qui fabriqueront les futurs images d’un média libre qui souhaite s’affranchir des codes narratifs de la « monoforme » ou du moins du modèle dominant car les codes du cinéma direct le permettent.
La pratique du cinéma direct est aussi un chemin d’approfondissement qui ne s’épuise pas, dans la recherche continuelle de la justesse et la forme la plus épurée. Il y a dans cette pratique quelque chose qui ressemble à la pratique d’un art martial..."
Durant la journée nous avons d’abord regardé "Une amitié" puis un extrait d’un autre film de Michèle Bourgeot, "Le Mari" (2006).
Nous étions une douzaine de personnes avec chacune des expériences variées en matière de cinéma. Plusieurs sujets ont été abordés et, plutôt que des réponses, nous avons trouvé beaucoup de questions :
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quelles relations se tissent entre filmeur.euse.s, filmé.e.s et spectateur.trice.s ? ;
On a parlé d’intimité, dans le sens où filmer une personne, un lieu, une histoire c’est faire le récit d’un "je" particulier auquel s’identifie le spectateur, la spectatrice. C’est creuser au delà des discours officiels de façade. Mais alors comment faire le récit des histoires collectives tout en instituant une relation d’intimité entre les filmé.e.s et les spectateur.trice.s ?
Est-ce un nouveau rapport à l’image et la présence accrue des images dans nos vies qui empêche de trouver dans le cinéma direct aujourd’hui la force qui réside dans les films des années 60, 70 ?
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comment appliquer la forme du cinéma direct à la réalisation de films courts d’actualité politique ? Par exemple les chroniques de Primitivi ?
Tout en gardant à l’esprit la nécessité de produire des formes diverses et non codifiées, nous nous sommes demandé comment fabriquer des films qui, à la fois, soutiennent les luttes dans leur actualité locale et, à la fois, peuvent perdurer dans le temps et concerner les spectateurs dans d’autres environnements géographiques, sociaux ou politiques.