La ville de Medellín serait-elle devenue une sorte de laboratoire ? En janvier dernier Uribe a proposé la création d’un réseau d’étudiants qui collaborerait avec l’armée pour lutter contre le crime. Ces étudiants seraient payés 50$ par mois.
Plutôt que de tenter d’apaiser le climat, de tenter de recréer des liens au sein de la ville le président choisi d’étendre encore le conflit en incluant les étudiants à la machine de guerre qu’est le concept de la Sécurité Démocratique.
Nous publions un appel public à la prise de conscience du Red Juvenil de Medellín qui craint, à juste titre on dirait, la mise en place d’une société paranoïaque dont le seul langage est la violence. "Qu’au lieu de former des citoyens l’État forme des mercenaires".
Soulèvement public
Le gouvernement colombien intensifie la guerre dans les communautés de Medellín
Durant une visite dans la ville de Medellín le 27 janvier 2009, Álvaro Uribe, le président colombien, avait proposé la création d’un réseau de coopérants de l’Armée Nationale constitué par 1000 étudiants de la ville, pour qu’ils aident les forces publiques dans la lutte contre le crime, et qui recevraient une paie mensuelle de 100 000 pesos soit 50 dollars US. Quelques jours après, depuis Davos en Suisse, il avait confirmé sa proposition en précisant que seuls les jeunes hommes de plus de 18 ans seraient concernés par l’offre.
Devant cette proposition le Red Juvenil de Medellín [1], organisation de jeunes qui défendent depuis 20 ans l’antimilitarisme, la non-violence et l’objection de conscience, comme formes aidant à construire des relations humaines permettant de dépasser les causes structurelles du conflit social et armé en Colombie et qui misent sur une société démilitarisée, tiennent à faire les appréciations suivantes :
L’histoire de la ville de Medellín a été traversée durant des décennies par une situation profondément ancrée de conflit urbain qui fait que depuis des années, des groupes en marge de la loi contrôlent des quartiers entiers de la ville. Cette situation difficile se présente, d’un côté, par la légitimation de la violence comme manière de résoudre les conflits et comme mécanisme de contrôle de la population. Mais d’un autre côté, elle est soutenue par les conditions matérielles difficiles dans lesquelles se trouvent tout particulièrement les habitants des secteurs populaires, où les difficultés économiques, la situation de pauvreté, le problème des déplacés qui se concentrent à la périphérie de la ville, et le peu d’accès aux droits sont notables.
Ce contexte très complexe, aggravé par la dégradation de l’ordre public récurrente depuis des décennies en Colombie, fait que selon les rapports des organisations sociales et même les rapports officiels, il y a près de 300 bande organisées aujourd’hui dans Medellín, qui rassemblent près de 6000 personnes munies d’armes.
Cette situation est connue depuis des années par les organismes de l’État, les secteurs économiques et politiques qui, comme l’ont montré des récentes enquêtes, ont légitimé, appuyé et négocié avec ces groupes armés. Certains des groupes armés comptent plus de 15 ans d’existence à Medellín.
Une situation comme celle là demande que l’État voit plus loin, comprenne la vraie dynamique du conflit urbain du Medellín, et ose prendre des mesures qui résolvent réellement le problème à la racine et ne le nourissent pas, comme cela arrive avec des mesures comme celle du réseau de coopérants. Et comme cela a déjà été fait avec des mesures à courte vue prises dans le passé. Cela montre bien que l’État connait mal le problème, que ce problème est structurel et qu’il est nécessaire de le résoudre sans quoi la situation continuera à empirer comme le montrent non seulement les taux d’homicides, mais aussi ceux de la pauvreté, du chômage et de l’exclusion sociale.
Comme circonstances aggravant cette situation dans la ville on trouve la méfiance de la population face aux comportements de la force publique dans plusieurs quartiers, comportements pour lesquels plusieurs fonctionnaires ont été mis en accusation. D’autres organismes de l’État et des secteurs de la politique sont également sur la sellette, et des enquêtes ont été ouvertes.
Cette mesure ne va faire qu’aviver le conflit urbain que vit la ville, tout en générant encore plus de méfiance parmi les habitants, pour ces raisons cela va mener à une aggravation majeure de la violence armée.
On tombe sous le coup d’une violation du droit international et des conventions du CICR, puisque cette mesure est un manquement au principe de distinction qui demande la mise à l’écart de la population civile lors d’une confrontation. Cette mesure est une manière peu coûteuse d’impliquer la population dans une dynamique de guerre qui a été rejetée et répudiée par la société civile.
Le message caché derrière cette mesure est “que la guerre paie”, puisqu’une grande partie de l’aide internationale reçue par l’État colombien part dans les affaires militaires [2], la même chose se passe avec les impôts payés par les colombiens. Message que nous n’acceptons pas et que nous ne reconnaissons pas comme étant le nôtre, sous aucun motif. Car la guerre et les processus de militarisation de la population civile sont des actes que nous rejetons et que nous considérons contraires à toute idée de construction d’une société libre.
Ce qui est manifeste face à des mesures comme celle-là c’est que c’est un échec notoire de la politique de Sécurité Démocratique [3] qui en plus de ne pas pouvoir résoudre à la racine le problème des groupes insurgés, a été un énorme échec. Puisqu’il y a des secteurs de la ville au seins desquels la présence de groupes armés illégaux est évidente, zones urbaines où elle n’a même pas pu obtenir un contrôle territorial.
Pour aggraver les choses, les processus de réinsertion, de Justice et Paix [4], de négociation avec les bandes et de soumission à la justice montrent aujourd’hui dans les faits qu’ils n’ont pas réellement pu résoudre la situation de l’ordre public ; depuis le début les organisation sociales et non gouvernementales tentent d’attirer l’attention sur leur échec et leur inconvenance.
Des mesures comme celle-ci fortifient la stigmatisation de la jeunesse,
qui fournit la majorité des morts en ville, qui est aussi l’objet des mesures de contrôle de la part de l’État et que maintenant le gouvernement lui-même veut inclure dans la confrontation.
Si nous voulions critiquer la proposition du président Uribe ; nous dirions alors que s’il tient à ce que les étudiants soient majeurs, cela voudrait dire que les membres du réseau de coopérants seraient des étudiants des universités. Ce qui mènerait à penser qu’il s’agirait, dans ce cas, plus d’une tentative pour contrôler les universités et en particulier les organisations et les mobilisations des étudiants. Cela transformerait la proposition du président en une forme de contrôle politique, plus que d’une tentative pour résoudre la situation dans les quartiers. Ce serait alors une certaine manière de criminaliser les luttes populaires et les mouvements étudiants.
Les mesures comme celles-là renforcent l’intérêt pour les actions de politique de sécurité que déploie l’actuel gouvernement, qui se résument à militariser la population civil. La question en suspend est : Que se passe-t-il dans une société qui se trouve dans cet état de militarisation ? La réponse flagrante est que cela implique une société qui délègue à la violence la résolution de tout conflit. Une société dans un état critique, soumise à l’emprise des armées et des mercenaires, légitimant la guerre, parce que la violence devient le moyen de subsistance des gens (il faut aussi penser à la proposition dans laquelle la ville de Calie, le réseau des coopérants est contrôlées par les chauffeurs des services public) et construite sur les piliers anxiogènes de la méfiance, du contrôle, de l’élimination de l’ennemi et de l’obéissance. Des valeurs qui sont à l’inverse de la construction d’une société libre et autonome.
Face à cette scène de militarisation d’une société fatiguée de la guerre ; nous proposons une réaction de la population, guidée par les principes de la non-violence, qui est la voie de la résistance civile. Une résistance à la présence de groupes armés dans les quartiers, une résistance au scénario de la violence, une résistance et une non coopération aux mesures guerrières de ces propositions qui font qu’au lieu de former des citoyens l’État forme des mercenaires. Une résistance à la stigmatisation de la jeunesse. Une résistance à la négation de la situation de conflit urbain dans la ville. Conflit complexe qui requiert des mesures plus complètes et plus humaines.
Envoyé par : RED JUVENIL DE MEDELLÍN
2 février 2010
Source : Red Juvenil de Medellín (reçu par mail)
A ce propos :
"Propuesta en boca de los estudiantes" (MSN Noticias)
"Uribe vinculará estudiantes como informantes de la Fuerza Pública" (El Tiempo)
"Uribe propone red de estudiantes informantes" (Ponte al dia)
Traduction : Primitivi
[1] Réseau de la jeunesse de Medellin
[2] Principalement le Plan Colombie, plan de coopération avec les États-Unis qui a rapporté 6,5 milliards de dollars depuis 2000 et dont le budget 2010 est d’environ 520 millions de dollars. Voir "l’accord militaire entre la Colombie et les États-Unis a été signé"
[3] Sécurité Démocratique : mesure politique prise dès 2002 par Uribe face aux groupes guérilleros, paramilitaires et narcos. La principale mesure étant un déploiement militaire majeur sur tout le territoire colombien. Cette remilitarisation du pays a encore accrue les problèmes des exactions armées, des disparitions et des déplacements forcés de population. Bref au final la politique de Sécurité Démocratique ressemble plus à une politique de nettoyage social qu’à autre chose.
[4] Uribe a fait passer la loi de « justice et paix » de juillet 2005, amnistiant les paramilitaires des Autodéfenses unies de Colombie (AUC), qui sont responsables à 70 % des fosses communes où les corps correspondent à autant de disparus en attente d’identification [4]. Cette amnistie a permis la démobilisation de plusieurs milliers de paramilitaires. Wikipédia